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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 17:57
Aloïs

Aloïs

Voilà une nouvelle nouvelle! Encore que du vécu, rien n'est inventé!

Bonne lecture!

Un petit retour serait sympa, merci d'avance, Frédérique

 

Je n’ai pas trop le moral ce soir… Pourtant, je viens de passer une journée magnifique, de celles qui vous rechargent les batteries pour plusieurs jours. C’est bizarre comme le cafard peut vous tomber dessus au moment où on a envie de dire « merci » à la vie pour les beaux cadeaux qu’elle nous fait.

Comme souvent le mercredi, je suis venue chercher Aloïs, mon petit-fils, pour passer quelques heures avec lui, en tête à tête. Nous avons de longues discussions, parfois très sérieuses ; de vrais échanges philosophiques sur des sujets importants comme la jalousie, la tristesse, la vie… la mort. Des choses qui le tourmentent, bien sûr et que, dans la mesure de mes moyens, je tente d’alléger. Je suis impressionné par sa maturité, mais aussi par son humour. Je me régale.

Aloïs a cinq ans et depuis qu’il a quatre ans, j’organise des sorties pour lui et moi. Rien que pour lui et moi ! J’en profite, avant qu’il ne soit trop grand et me considère comme une vieille rabat-joie tout juste bonne à mettre à la casse. Je crois que j’ai encore quelques années devant moi, Dieu merci ! Ceci dit, je trouve que du côté des enfants de ma fille aînée, c’est arrivé vraiment vite. J’ai pris une bonne claque au cours du week-end dernier lorsque le petit dernier qui vient de fêter ses quatorze ans m’a asséné avec un air dédaigneux : « Mais Mamie, toi t’es vieille, tu peux pas comprendre ! ».

Et vlan, prends ça dans les dents ! Et personne autour, évidemment, pour lui faire remarquer que sa réplique est blessante. Tout ça parce que je lui disais qu’il passait trop de temps sur son téléphone portable et qu’il ferait mieux d’aller s’occuper dehors avec ses copains. Je savais bien que ces engins, c’était une bombe à retardement. Je l’ai toujours dit. Ils ne savent plus communiquer normalement. Ils sont hypnotisés par leur écran, toujours dans le virtuel, de plus en plus éloignés de la vraie vie. Les jeunes ont de moins en moins de vie sociale. Dire que j’ai même surpris l’aîné sur sa trottinette électrique, son portable à la main, roulant à vive allure sur la départementale, le regard fixé sur son écran. Et sans casque, bien sûr. Un casque, pour quoi faire ?

Voilà, c’est déjà fichu du côté des enfants de Zoé. Il n’y a plus moyen d’entretenir la moindre conversation avec eux. Au pire, ils envoient des SMS en style télégraphique et moi qui mets un point d’honneur à respecter l’orthographe, les majuscules et la ponctuation, je dois souvent faire de gros efforts pour comprendre. C’est navrant. Je crains qu’ils ne sachent plus écrire autrement. J’espère qu’ils savent encore tenir un stylo. Quand je pense combien le processus intellectuel, le fonctionnement du cerveau est lié à l’écriture manuelle, ça me désespère.

C’est vrai que je suis d’une autre époque, mais tout est allé tellement vite ! Même mes filles sont tombées sous l’emprise de la technologie. Je me demande si ça leur arrive encore d’ouvrir un livre de temps en temps. Google est devenu leur maître à penser, leur principale source de culture. Aucune chance d’échapper au système. Alors évidemment, moi qui ai toujours refusé d’utiliser Internet, qui n’ai pas d’ordinateur et seulement un portable pour téléphoner, à leurs yeux, je suis un fossile vivant.

Je résiste. Je prends des livres et des DVD à la médiathèque et je vis très bien comme ça. Pour les démarches administratives, je vais à la mairie. On ne peut tout de même pas nous obliger à savoir maîtriser un ordinateur !

Depuis qu’Aloïs est tout petit, je cultive son goût pour la lecture et il adore ça, même si à la maison, il réclame la télé. Forcément, ce sont les adultes, les modèles ; les enfants imitent. Chiara et Yann ne lisent pas. Pas le temps. Et pour être tranquille, ils allument la télé pour les petits ; c’est leur nounou préférée. Alors, forcément, ils y prennent goût. C’est magique, un écran.

Soit. Toujours est-il qu’on dirait bien que c’est à moi de transmettre le goût de la lecture à mes petits-enfants. Aloïs a tout de suite aimé. J’ai plus de mal avec le petit frère, Anton. D’accord, il n’a que trois ans, mais je vois bien la différence avec Aloïs. Anton, c’est le mouvement ; Aloïs, c’est la contemplation, la réflexion. Il est capable de passer des heures à observer le poisson rouge dans son bocal. Pauvre bête, soit dit en passant ; quelle drôle de cadeau d’anniversaire !

On va croire que je n’arrête pas de critiquer, mais il y a tellement de choses qui me choquent aujourd’hui !

Ah mais je me suis un peu égarée…

Je disais que nous avions passé une excellente journée, Aloïs et moi. Je l’ai emmené au petit musée d’art de St Cyprien où une monitrice l’a invité à participer à un atelier créatif ayant pour thème les tableaux de Dali. Aloïs était très content de retrouver ce peintre que je lui ai fait découvrir à Figueres il y a six mois. C’était la première fois qu’il passait la frontière ; il était très fier.

La monitrice m’a fait beaucoup de compliments de mon petit-fils. Là, pour le coup, c’est moi qui étais fière !

Après le musée, nous sommes allés manger une crêpe avant de faire un tour sur le front de mer. Je me suis arrêtée dans une petite boutique d’artisanat où j’ai craqué pour des boucles d’oreille, et au moment de payer, la marchande a offert un petit bracelet en perles de cristal à Aloïs. Très joli, vraiment. J’aime bien les garçons qui portent des bijoux, moi ; ça me plaît. Pas des tonnes, évidemment, mais une chaîne, un bracelet… Aloïs était heureux et moi aussi.

Oh, sa joie, sa fierté lorsque nous sommes rentrés chez lui. Je ne l’avais jamais vu aussi volubile ! Les peintures, les crêpes, la dame gentille, le bracelet… Je dois dire que je n’ai pas vu venir la crise. Si j’avais été plus attentive, j’aurais sans doute remarqué que le visage de Chiara avait changé. Tendu, pas vraiment fâché, mais contrarié. Et tout à coup :

- Non, mais c’est pas un truc de garçon, ça. Faut arrêter de jouer à la poupée, maman !

J’ai tenté de parlementer, pour Aloïs qui ne comprenait pas très bien ce qui se passait, et encore moins lorsque Chiara lui a attrapé le poignet pour le défaire du bijou qui est allé atterrir dans un vide poche sur la commode de l’entrée.

Soufflée, j’étais soufflée.

- Mais enfin, Chiara…

- Quoi, « mais enfin Chiara » ? Tu ne trouves pas qu’Aloïs est assez marginal comme ça ?

J’ouvrais des yeux de plus en plus ronds :

- Marginal ? En quoi est-il marginal, ton fils ?

Chiara s’énervait :

- Mais tu vois bien !

Voyant qu’elle allait enchaîner sans se soucier des oreilles qui ne perdaient pas un mot de la conversation, je lui ai fait un geste pour la faire taire et j’ai invité Aloïs à aller jouer dans sa chambre.

- Mon bracelet ?

J’avais du mal à supporter ce regard noyé de larmes et je commençais vraiment à en vouloir à ma fille.

- Maman l’a mis de côté parce que c’est fragile, mais ne t’inquiète pas, il est là. Laisse-nous un moment, Aloïs…

Aloïs s’est éclipsé tout penaud. Lorsque j’ai entendu la porte se refermer, je me suis tournée vers Chiara et j’ai repris plus bas :

- Alors ? Marginal ?

- Il a refusé de jouer au rugby ; à défaut, on l’a inscrit au foot, mais il n’aime pas ça non plus. Tous les samedis, c’est l’enfer pour l’emmener au stade. A l’école, il préfère jouer avec les filles et il voulait faire de la danse comme sa petite copine Lilou. Quand on lui demande pourquoi il invite surtout des filles pour son anniversaire, il répond que les garçons se bagarrent tout le temps. Pas étonnant que son grand-père le traite de mauviette !

- Moi, je trouve que ça prouve toute son intelligence, à ce petit !

Je me tais un court instant avant d’ajouter avec un petit sourire en biais :

- Mais ça ne prouve pas celle du grand-père.

Je ne supporte pas le père de Yann. Dire que tous les ans, son cadeau d’anniversaire, c’est une paire de baskets ! Il répète à l’envie que c’est important d’être sportif. Chiara ne répond rien à ma dernière répartie, je sais qu’elle a du mal, elle aussi, avec son beau-père ; elle me l’a déjà dit et elle ne va pas le défendre aujourd'hui tout de même !

Je reprends rapidement le fil de la conversation :

- D’abord, ce n’était pas de la danse, c’était du hip-hop. Et c’est très sportif, le hip-hop.

- De toute façon, son père n’était pas d’accord.

- Oh, il n’est d’accord sur aucun des choix de son fils, de toute façon. La natation, c’est trop loin… Le tennis, l’équitation, c’est trop cher.

- Si tu veux payer les leçons d’équitation, je ne t’en empêche pas.

Perfide, elle raille ; elle connaît mes moyens. J’ai envie de la claquer, mais ce n’est plus de son âge, hélas. Je trouve qu’elle évolue mal, ma fille. Elle est aigrie, peut-être à cause de ses problèmes de couple

Je laisse passer un long silence. Une idée me traverse l’esprit. Tant pis… Je la lâche :

- Tu as peur qu’il soit homo ?

Elle bondit, le visage blême :

- Je n’ai pas dit ça !

Je crois que j’ai mis le doigt là où ça blesse ; c’est bien ce que je pensais, mais je préfère changer de sujet. Je me détourne lentement vers la sortie, vraiment écœurée.

- J’espère que vous allez arrêter de le modeler à votre goût… Que vous lui laisserez l’opportunité d’être ce qu’il est vraiment et d’exploiter ses capacités. Ton fils a un tempérament artiste, tu n’y peux rien. Il aime le dessin, la musique, la danse. C’est pas un sportif, et alors ? C’est grave ? Encore que ce n’est même pas vrai : c’est un bon marcheur ; à cinq ans, il est déjà un virtuose du vélo ; il adore l’eau et commence à bien nager. Dommage que vous n’alliez pas plus souvent à la mer avec lui, vous l’auriez remarqué !

Chiara m’adresse un sourire pincé :

- Si on avait le temps !

Je hausse le ton :

- Stop ! Quand on veut, on trouve le temps ! Vous travaillez, mais vous avez des week-ends, non ? Et des jours de vacances, non ? Mais je sais que nous n’avons pas les mêmes priorités. Les bains de mer et les sorties natures, ça ne vous intéresse pas.

Chiara hausse les épaules :

- Tu parles d’un plaisir, la mer, en été, avec le monde qu’il y a !

- Hé ben, tu fais comme moi, tu y vas de bonne heure ! Ou en fin de journée.

- Oh, t’es ch….

Je coupe :

- Oui, je sais. Mais ce que je voulais dire c’est qu’en fait, Aloïs est sportif. Ce qu’il n’aime pas c’est l’esprit de compétition qui règne dans le sport, tout comme il déteste la violence. Mais là, c’est pas grave, vous vous rattraperez avec Anton, lui, de ce côté-là, il ne vous décevra pas. C’est un combattant ! Son grand-père sera content.

J’ai presque atteint la sortie, posé la main sur la poignée de la porte ; Chiara m’a suivi :

- Et quand est-ce que tu le prendras avec toi, Anton ? Les petites sorties, c’est toujours pour Aloïs !

Je marque un temps d’arrêt. Je savais que la question arriverait un jour sur le tapis :

- Quand il aura quatre ans. C’est l’âge auquel j’ai commencé avec Aloïs.

- Tu emmenais Aloïs à la médiathèque bien avant ses quatre ans !

- La médiathèque, oui… D’ailleurs, dois-je te rappeler que j’ai fait une tentative avec Anton il y a trois mois ? Il a bien aimé la moquette, il a couru partout et je ne suis pas sûre qu’il ait remarqué qu’il y avait des livres ! Pour l’instant, je me contente de lui lire des histoires quand je viens le garder ici et il ne faut pas que ça dure trop longtemps.. Alors pour les musées et le resto, faudra attendre un peu !

J’ouvre enfin la porte et je traverse le petit jardin jusqu’au portail ; elle me suit toujours.

- De toute façon, depuis sa naissance, tu as du mal à supporter Anton, remarque-t-elle avec un air de victime.

Alors là, je vois rouge et je me tourne vers elle comme une furie :

- Pas d’inversion de situation, s’il te plaît ! C’est toi qui a eu du mal avec lui dès sa naissance! Parce que tu ne t’attendais pas à ce qu’il soit si différent d’Aloïs, parce que tu ne te sentais pas soutenue par Yann qui ne voulait pas de deuxième enfant, parce que… Je ne sais pas ! Peut-être plein d’autres raisons qui ne me regardent pas. Moi, je les aime autant l’un que l’autre. Mais il faut bien reconnaître qu’Aloïs était plus facile. Et puis je commence à prendre de l’âge, tu vois !

Je pousse le portail et me dirige vers ma voiture ; elle m’escorte :

- Je peux juste te demander ce que ça veut dire « arrêter de le modeler à votre goût » ?

Je m’immobilise pour l’envelopper d’un regard perçant. Elle l’air sincère. Je soupire :

- Le piano, Chiara… Je pense au piano.

Sur ce, en dépit de sa perplexité, j’ouvre la portière, je m’installe au volant, je lance le moteur et je démarre en réalisant que je ne lui ai même pas fait de bise. Je regrette un peu, mais tant pis. Je crois qu’elle s’en remettra.

 

Le piano. Je ne l’ai pas digéré, ce coup là, d’autant que cette affaire a eu des rebondissements qui, chaque fois m’ont laissé un espoir. Espoirs déçus. Non, je n’arrive pas à leur pardonner ça.

Aloïs avait trois ans et demi lorsque, de passage avec lui chez des amies, il a été installé devant un clavier. Un joli piano droit tout blanc. Et aussitôt, il s’est produit quelque chose qui nous a toutes interloquées. Ses petits doigts se sont mis à explorer les touches en douceur… Un doigt, puis deux, puis toute la main… Une main, puis les deux. Comme si le monde autour de lui avait été estompé, comme s’il était seul au monde devant ce clavier. Alors que nous nous étions toutes les trois attendues à ce qu’il tape plus ou moins fort sur les touches, il procédait en douceur, manifestement fasciné par les sons produits par ses doigts sur l’instrument. Il écoutait, il souriait, il prenait des attitudes de pianiste expérimenté tandis que son touché se faisait plus audacieux, plus vif. Nous étions bluffées ; évidemment que cela ne ressemblait à rien de connu, mais c’était beau, harmonieux ; les accords ne heurtaient pas l’oreille. Et ça durait, plus ou moins appuyé, plus ou moins rapide.

Une de mes amies avait pris son téléphone mobile pour filmer ; il ne se rendait compte de rien. Il était en tête à tête avec le clavier. Rien d’autre ne comptait.

Inspiré. Par quoi ? Par qui ?

J’en aurais pleuré ; j’ai même dû écraser une petite larme.

Par un hasard incroyable, le piano était à vendre ; en ayant réceptionné un neuf, l’ancien était un peu encombrant. Mais quelle chance !!!

Je revenais chez Chiara le cœur gonflé de joie pour lui raconter ce qui venait de se passer. A n’en pas douter, Aloïs était un pianiste né, ou du moins un musicien. Entre temps, elle avait reçu sur son téléphone le petit film pris chez mes amies. Elle était assez chamboulée, je dois dire. Mais…

Mais où allaient-ils bien pouvoir mettre un piano dans leur petite maison ?

Mais comment savoir si Aloïs aurait vraiment envie d’apprendre à jouer de cet instrument ?

Mais elle ne voulait pas faire revivre à son fils ce qu’elle-même avait vécu avec le violon, un forcing pédagogique avec obligation de résultats.

Ce dernier argument me laissait un goût amer ; je n’avais pas eu le sentiment de la faire tellement souffrir en lui faisant étudier le violon, mis à part lorsque son père s’en mêlait. C’est vrai qu’il n’y a pas d’apprentissage sans souffrance, mais si Aloïs était vraiment fait pour cela, il s’accrocherait, il trouverait même du plaisir dans l’effort pour progresser. Comment savoir s’il était fait pour ça sans tenter l’expérience ? Un vrai piano en parfait état à deux cents euros, payable en plusieurs fois, il était impensable de passer à côté d’une telle occasion pour une question de place. S’ils voulaient, la place ils la trouveraient.

Curieusement, cette fois, c’est Yann qui a fait pencher la balance en faveur de cette acquisition. La prestation spontanée de son fils avait émoustillé sa fierté paternelle, je crois. Avec deux ou trois copains, il s’est même donné un mal de chien pour aller chercher l’instrument et le ramener chez eux. Bon, il prenait un peu de place dans l’espace de la grande salle, mais il faisait plutôt bien. Vraiment classe.

A son arrivée, Aloïs exultait et s’est empressé de grimper sur la banquette.

Et puis le piano a été fermé.

Même Aloïs a fini par l’oublier.

Moi, entre temps, j’avais contacté l’école de musique pour savoir à quel âge ils prenaient les enfants ; j’étais prête à l’emmener moi-même. J’étais tellement heureuse d’avoir un petit-fils musicien ! J’allais un peu vite, d’accord, mais j’ai pu constater à mes dépends qu’une tempérament artiste, ça se cultive.

Au bout d’un an d’inactivité, le piano est allé finir ses jours dans une maison de retraite. Tant mieux pour les pensionnaires. J’espère qu’il sera joué là-bas.

Voilà l’histoire du piano. J’espère que Chiara a compris, d’autant que la plaie a été ravivée il y a quelques jours lorsque la maman d’une petite copine d’Aloïs m’a interpelée à la sortie de l’école pour me dire qu’elle observait Aloïs depuis de longs mois, qu’elle l’avait déjà reçu deux fois chez elle pour un anniversaire et qu’elle était certaine qu’il avait des dispositions particulières… pour le piano. Elle était professeur de piano et chez elle, l’instrument toujours ouvert avait attiré l’enfant.

Bien évidemment, je me suis empressée de tout raconter à Chiara.

- Oh, maman, ça ne va pas recommencer !

Voilà. Elle n’a rien trouvé d’autre à dire. Et moi non plus.

 

Je ne sais pas si j’aurais un jour un de mes petits-enfants musiciens… Pour les trois premiers, je pense que c’est déjà fichu. Aloïs n’a pas encore six ans ; rien n’est perdu. Quant à Anton, mis à part la batterie, je ne le vois pas trop dans la musique. Encore que je me fais sans doute une idée fausse de la batterie ! J’en demande pardon à tous les batteurs.

 

Voilà, je n’ai pas le moral ce soir. J’ai ce goût amer d’enfance aux talents gâchés par manque d’investissement ou d’ambition des parents. Ces parents qui se projettent dans leur progéniture en s’efforçant de se réaliser à travers elle, voire même contre elle. Tous ceux qui délèguent leurs responsabilités à la collectivité, qui n’éduquent plus, qui n’élèvent plus, se contentent de nourrir et de soigner. Qui disent aimer, sans se donner la peine de respecter la vie unique qui cherche à s’épanouir sous leurs yeux. Qui les laissent se faire happer, déshumaniser par une technologie vampirisante, glisser sans combattre vers le transhumanisme où, hypnotisés, anesthésiés par les plaisirs faciles, ils ne se rendront même plus compte qu’ils sont devenus des robots manipulés par une Intelligence Artificielle impitoyable et toute puissante.

 

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18 janvier 2024 4 18 /01 /janvier /2024 19:50

Certains brandissent l'épouvantail de la guerre mondiale !
Certains agitent celui de pandémies en tout genre.
D'autres, ou les mêmes, nous alarment sur la volonté délibérée des dirigeants de tout bord, de nous interdire l'accès aux médicaments pour mieux nous tuer.
On nous parle de pénuries, sécheresses, cataclysmes naturels, ou pas, bref de chaos.
En fait la seule chose criante de vérité est une volonté délibérée, quel que soit leur bord, de nous faire vivre dans la peur.
Nous avons affaire à des menteurs, des manipulateurs, qui cherchent à nous survivre en nous faisant crever de peur !

LA PEUR EST LA SEULE CHOSE QUI NOUS COUPE DE LA VIE, DE LA SANTÉ, DE LA JOIE, DE LA CONFIANCE, DE L'AMOUR.

A nous de choisir !


Calme ou tempête ?

Dominique

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10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 16:10

Il est des histoires qui vous vont droit au coeur et dont vous ressortez chamboulé ! Je n'aurais jamais pensé être à ce point touchée par le sort réservé au village de Brovès et à ses habitants.

Si j'ai tendance à imaginer le pire, si je n'ai aucune sympathie pour ce qui de près ou de loin à à voir avec l'autorité, sans doute suis-je née rebelle d'une mère rebelle, j'avais encore des illusions. Le Larzac est une cause qui m'a beaucoup touchée en son temps mais là on touche à l'ignominie la plus totale.

Fonctionnant Frédo et moi en parfaite symbiose, sans nous concerter nous avons eu envie de témoigner en écrivant une nouvelle dont le thème est ce village de Brovès.

Frédo a choisi de faire parler le village, je me suis attachée à l'une de ses habitantes, certes je lui ai changé le nom mais Aline a bel et bien existé tel que je le mets en scène...

Ne nous voilons pas la face nous pourrions être l'un de ces brovésiens que l'Etat, l'Armée ont broyé !

Dominique

 

A Seillans le 10 juillet 1974

Monsieur le Président de la République,

   Si je vous écris cette lettre aujourd’hui ce n’est pas avec l’espoir d’être lue, je sais fort bien que vous avez autre chose à faire et que dans le meilleur des cas ce sont vos sbires qui se chargeront de cette tâche. Mais au moins ce sera dit et peut-être se trouvera-t’il une oreille attentive pour comprendre ma détresse.

Je sais que vous n’êtes pas responsable de ce que je vis actuellement puisque vous n’êtes président que depuis le mois de Mai 1974 mais votre prédécesseur, Monsieur Pompidou n’est plus ! Ne comptez pas sur moi pour ajouter le traditionnel « Paix à son âme », ce serait pure hypocrisie de ma part !

Mais avant toute chose permettez moi de me présenter.

   Je me nomme Aline Giniel née Panisson le 3 mai 1891. Veuve de Jean Giniel depuis le 15 juillet 1916, j’ai élevé seule nos deux enfants, un garçon et une fille. Originaire du village voisin de Comps-sur-Artuby j’ai exercé pendant de longues années le métier d’institutrice à Brovès où mon défunt époux était maréchal ferrant. Mon fils a perdu la vie lors de la seconde guerre quant à ma fille, installée en ville, à Toulon, elle y a enseigné jusqu’à sa cessation d’activité. Je la vois régulièrement mais la distance qui nous sépare est un frein aux visites. Je peux dire que notre famille a donné sans compter à la France, son labeur, ses vies !

Au fil des ans Brovès est devenu mon fief, toujours heureuse de partager des moments conviviaux avec les autres habitants, leurs enfants ne sont-ils pas un peu les miens. Ils me le rendent bien d’ailleurs même aujourd’hui !

Pour nous les brovésiens, et je ne compte pas ceux qui chaque été revenaient couler des jours heureux en famille loin de la ville où la vie les avaient parachutés, notre vie a basculé le 4 août 1970 mais je ne suis plus la bonne conteuse qui ravissait mes élèves. Je saute des étapes.

   Tout a commencé en 1955 avec la création du camp militaire de Canjuers pour «  nécessités stratégiques ».

En 1963, Monsieur Pompidou, premier ministre, alors en déplacement à Toulon offre purement et simplement notre village de Brovès au camp militaire. Une enquête publique est évidemment ordonnée par arrêté mais à peine avions-nous porté nos doléances en mairie que cinq jours plus tard un avis favorable à l’installation du camp était rendu !

Malgré de multiples protestations, les expropriations n’ont pas traîné et le 4 août 1970, notre mairie a fermé. Je m’en souviens parfaitement occupant de manière bénévole, en ma qualité d’ancienne institutrice, les fonctions de secrétaire !

En 1972 notre village par décret était rayé de la carte de France.

Imaginez ce que cela vous ferait si, comme ce fut le cas pour ma fille née à Brovès et devant renouveler votre carte d’identité, vous découvriez que l’on a changé votre lieu de naissance ! Évidemment étant né Coblence en Allemagne, il y a peu de chance que cela vous arrive.

Même notre monument aux morts et le cimetière ont été déménagés ! J’ai perdu mon époux une seconde fois, je n’ai même plus la possibilité de me rendre sur sa tombe.

Lui et tous ceux tombés au « champ d’Honneur », comme cela se dit, n’ont plus droit de cité à Brovès !

Quelle honte !

Mort pour la France !

Pour quelle France ?

   Dire que pendant des années je me suis conformée aux ordres émanant de ma hiérarchie, parlant morale à mes élèves. Je repense à ces maximes que je qualifierais aujourd’hui de mensongères, de stupides… « Bien mal acquis ne profite jamais » ou encore « Plus fait douceur que violence » !

Dire que j’amenais mes petits à comprendre qu’une bonne castagne ne réglait jamais aussi bien un problème qu’une discussion calme entre belligérants !

Je me dis aujourd’hui que plutôt que subir nous aurions dû comme ceux du Larzac prendre les armes ! Que nous sommes-nous levés en 1968 pour joindre nos voix aux jeunes ! « Vous vous foutez de nous » écrivaient -ils sur les murs à Nanterre, quelle justesse !

   Mais voyez-vous monsieur le Président, le pire est à venir !

   Le 6 juin 1974, les quelques brovésiens encore sur place ont été expulsés de leurs maisons manu militari, rien d’excessif dans mes propos. Militaires, policiers étaient là pour nous « virer » de chez nous.  Mes plus proches voisins, dont la future résidence n’était pas encore terminée, se sont vu refuser le droit d’emporter leur porte d’entrée et des volets qu’ils avaient fait changer il y a quelques années. Propriété de l’armée ! Ils ne furent pas les seuls !

Quant à moi !? Je n’aurais jamais imaginé être traitée comme je le fus.

Certes je n’étais plus très vaillante mais j’arrivais encore à entretenir un carré de jardin, à m’occuper de mes poules. Je conservais avec la complicité de mes voisins une certaine autonomie et je pouvais toujours compter sur leur bienveillance. Ils leur arrivaient de m’associer à leurs déplacements en « ville », il ne se passait pas une journée sans que je reçoive une petite visite.

Sans doute n’était-ce pas important aux yeux de ceux qui se croyaient investis du droit de vie, et de mort, sur la population.

Je me suis retrouvée « placée », à l’hospice de Seillans. Placée, quel vilain mot !

Comme un objet !

J’ai dû abandonner mes poules et mon chat ! Un vieux matou de quinze ans !

Imaginez sa détresse !

Heureusement pour lui, il existe de braves gens prêts à tout, même à braver les interdits ! Les multiples panneaux d’interdictions qui ont fleuri partout n’ont pu empêcher deux jeunes du village de pénétrer dans ce périmètre interdit pour venir le récupérer après de longues heures de recherche. Aujourd’hui mon vieux « pépère » coule des jours au calme chez d’anciens voisins, l’hospice ne les acceptant pas. Il vient me rendre une petite visite à l’hospice régulièrement, mais il me manque tellement.

Nous étions un vieux couple !

   Les touristes par centaines se pressent à Oradour-sur-Glane pour prendre l’atmosphère de ce village sinistré par des faits de guerre, nous sommes un village sinistré en période de Paix pour que des hommes puissent jouer à la guerre !

Encore avons-nous évité le pire jusqu’à présent puisqu’il fut question de raser purement et simplement notre village ruiné, maintenant que nul militaire ne vient jouer à la guerre en son sein.

Mais tout ceci n'est que la partie immergée de l’iceberg.

Je ne me suis pas attardée sur le cas de la faune sauvage soumise au stress des manœuvres militaires, des tirs d’obus et de missiles. Cette région que je prenais plaisir à faire découvrir à mes élèves recèle des trésors architecturaux et archéologiques, une flore exceptionnelle. Tout ceci est aujourd’hui caché à nos yeux, alors que ces richesses auraient dues rester un bien commun, être classées au Patrimoine de l’Humanité !

Nous avons même sur le territoire de notre commune des espèces rarissimes dont une n’est connue qu’ici même ! Mais comment s’étonner du mépris avec lequel sont traités les animaux, la nature d’une manière générale puisque les humains comptent si peu !

J’espère Monsieur le Président quitter ce monde rapidement et même si l’affection de ma fille me nourrit encore, je n’ai plus de goût à vivre.

Vos prédécesseurs, mais sans doute n’êtes vous pas différents, ont tué ma foi en l’Humanité. Vous êtes en guerre contre le peuple, un sentiment de supériorité vous anime, puisse-t’il vous étouffer un jour, vous et tous ces politiques qui détruisent ce que la Vie offre de meilleur !

Ne recevez pas ma sincère considération mais croyez en mon profond dégoût pour le Monde que vous représentez !

Aline Giniel

 

 

 

 

 

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10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 14:54

Je suis un village français. Un petit village.

Non, pardon…

J’étais un village français.

Je n’existe plus.

Je suis mort.

On m’a vidé de ma substance. On m’a volé ma vie.

Je vois très bien ce que vous imaginez en lisant ces mots. La guerre. Hé bien non, vous vous trompez. Bien sûr, j’ai subi plusieurs guerres au fil des ans, au fil des siècles. Mais elles n’ont pas eu raison de moi. Certains de mes habitants ont péri au cours de ces conflits, comme partout ailleurs, en France.

Morts au champ d’honneur.

Morts pour la patrie.

Mais non, moi, aucun ennemi étranger n’est responsable de ma disparition. D’ailleurs, je ne devrais pas parler de disparition puisque je suis toujours là. Quelques dizaines de constructions et une petite église aux murs partiellement effondrés, aux toitures souvent arrachées, aux fenêtres béantes, aux volets disloqués, battants, et aux vitres brisées. Un fantôme de village ; une ruine. Voilà ce que je suis.

Je ne suis même pas ce que l’on nomme un « village martyr » victime de la barbarie humaine bien que certains me nomment Oradour-en-Provence ; je ne suis même pas une curiosité historique, puisque mon territoire est interdit. Quoique…

Puisqu’il ne s’agit pas de faits de guerre, vous allez sans doute penser désertification des campagnes, exode rural, pénurie d’eau, épidémies ; peste ou choléra. A moins que vous n’imaginiez un cataclysme naturel ; séisme, pluies torrentielles, etc… Il y a tant de possibilités.

Hé bien non, pas davantage. Je n’ai rien subi de tel, ou du moins, ce n’est pas la raison de mon état.

J’étais un havre de paix. La vie n’était pas toujours facile ici ; le climat peut être rude en altitude. Mais j’abritais une petite communauté tranquille et vaillante qui travaillait la terre, élevait des chèvres, des moutons, des poules… Il y avait des chiens, des chats… Toute une vie s’épanouissait là, dans le décor majestueux des pré-Alpes d’Azur où les touristes aiment venir chercher le calme et la sérénité, la fraîcheur aussi en été, loin de la trépidation urbaine du littoral et des stations balnéaires surpeuplées.

Aujourd’hui, beaucoup de véhicules passent par là, en toute saison, à toute heure, là, à quelques pas de moi, ralentissant parfois à ma vue, s’interrogeant peut-être sur la décrépitude évidente de mon bâti. Il y en même qui vont jusqu’à s’arrêter pour prendre des photos. Mais combien d’entre eux connaissent mon histoire ou cherchent à la connaître ?

Mon histoire commence au IXème siècle. Peut-être même avant, qui sait, mais les premiers écrits mentionnant mon nom remontent à cette lointaine époque. C’est dire si mon âge est respectable ! Un respect que l’État français ne m’aura pourtant guère accordé, et pas davantage à la vie que j’abritais. Car c’est lui, l’État français, c’est elle, la France, la responsable de ma triste situation.

Mon déclin a commencé dans les années soixante, en pleine période de guerre froide. La France se devait de posséder une armée puissante. Depuis 1955, la création d’un vaste camp militaire était à l’étude dans le sud-est de la France. En déplacement à Toulon, en 1963, le premier ministre s’était déclaré définitivement favorable à l’implantation d’un camp de trente-cinq-mille hectares, le plus vaste champ de tir d’Europe occidentale. Trente-cinq-mille hectares !!! Et le pire, c’est que j’en faisais partie !

Je ne suis pourtant que la partie émergée de l’iceberg ! Combien de fermes, de bastides, de bergeries, de terres exploitables ont ainsi été confisquées, livrées à l’absurdité des tirs en tout genre, obus, roquettes, j’en passe et des meilleurs ?

Il y eut bien entendu une enquête publique et les villageois s’empressèrent de porter leurs doléances en mairie pour signifier leur désaccord. Comment auraient-ils pu s’accommoder d’une décision les condamnant à la perte de toutes leurs possessions ? L’enquête dura… cinq jours. Cinq petits jours et la décision tomba (mais sans doute était-elle déjà prise), entérinant la création du camp militaire, pour la plus grande satisfaction de l’armée, des dirigeants du pays et du président du Conseil Général du Var qui poussa le cynisme jusqu’à prononcer cette phrase inoubliable : « mais que les habitants se rassurent ! Leurs filles pourront épouser des militaires ! ».

Abasourdis, ébahis, sonnés, les villageois ont pris la mesure de leur insignifiance face au pouvoir et compris qu’ils allaient être impitoyablement expulsés, chassés de leurs terres ancestrales, sans qu’aucune voix ne s’élève pour les défendre contre cette décision inique, indigne de la devise du pays « Liberté, égalité, fraternité ».

La mairie a fermé le 4 août 1970. Je n’avais plus d’existence légale. Dès lors, les natifs du village qui renouvelaient leurs papiers d’identité constataient avec stupéfaction que leur lieu de naissance avait été modifié.

Je n’avais pas de futur et je n’avais même plus de passé !

Je n’existe plus. On m’a rayé de la carte. Ils ont détruit mon cimetière, rassemblé les restes des défunts dans un ossuaire. Ils ont déplacé le monument aux morts.

Peu à peu, les habitants sont partis, mais en juin 1974, il en restait encore sur place. Leurs « maisons de rechange » n’étaient pas prêtes à les accueillir. Alors ils attendaient. C’est normal. On n’allait pas les mettre dehors, quand même !

Mais si. On leur annonça tout à coup qu’il leur restait quatre jours pour vider les lieux. Et interdiction d’emporter portes ou volets devenus propriété de l’armée !

Chassés comme des malpropres, expulsés par la police pour enfin laisser place nette à l’armée. Quant aux personnes âgées esseulées, on les a purement et simplement envoyées en maison de retraite.

Combien de vies brisées dans l’indifférence générale ? Pourtant, du côté du Larzac, la mobilisation avait porté ses fruits ; ils avaient renoncé à l’agrandissement du camp. Mais pour moi, qui s’est battu ? Qui a dénoncé ? On a un peu parlé de moi, quelques lignes dans les journaux locaux ; quelques lignes pour dix ans d’agonie. C’est peu.

Pourtant, étant situé en bordure du camp, il eut été facile de déplacer un peu la frontière de quelques centaines de mètres pour nous épargner, mes habitants et moi. Sans doute y aurait-il eu quelques terres perdues, mais l’essentiel aurait été préservé.

Je crois qu’ils avaient vu en moi un excellent terrain de jeu. D’ailleurs, dans les premiers temps, ils se sont amusés à mimer des combats de rues entre mes murs ; et puis ils ont renoncé car j’étais devenu potentiellement dangereux pour eux. Voilà, très vite, je ne servais déjà plus à rien.

J’étais mort pour rien.

Ah, pas tout à fait ; j’ai quand même servi de décor pour des tournages. Un film, remake du Schpounz, et un spot publicitaire pour l’armée où mes ruines faisaient merveille comme décor de guerre. Même pas besoin d’aller jusqu’au Kosovo pour filmer des combats de rues ! Belle économie.

Finalement, je suis devenu suffisamment inutile pour qu’en 2005 le colonel responsable du camp envisage de me faire raser. Après tous les outrages qu’on m’avait fait subir, je n’espérais plus grand-chose de bon. Il y avait eu les pillages des premiers temps, des camions entiers de tuiles, de briques envolées, disparues ! Comment cela était-il possible ? Ce ne sont pourtant pas les panneaux d’interdiction de pénétrer sur les lieux qui manquent ! L’armée ne surveille donc pas ? Même la cloche de l’église a disparu, et là, pour aller la chercher là-haut, il fallait vraiment des spécialistes. Des mauvaise langues parlent de complicité.

Je sais tout, j’ai tout vu, mais je ne dirai rien.

Enfin bref, lorsqu’il a été question de me faire disparaître physiquement, définitivement, les habitants se sont insurgés et ont fondé une association de défense qui me vaut d’être toujours là. Depuis, chaque lundi de Pentecôte, l’armée autorise mes anciens habitants à se réunir ici… Enfin, pas vraiment ici, dans la petite chapelle dédié à Saint-Romain, mon saint patron, à quelques pas du village. Ici, ce serait trop dangereux. Au moins, je demeure vivant dans quelques mémoires… Jusqu’à ce que le dernier disparaisse.

Quelques projets de mise en sécurité, voire de restauration sont parfois évoqués. Mais je n’y crois pas trop. Cela coûte cher ; l’armée n’a pas de moyens à consacrer au superflu. Et puis de toute façon, cela ne fera pas revenir ceux qui sont partis Le mal est fait.

Alors je reste là, béant à tous les vents, me délitant, pierre par pierre, sous les intempéries. Elle finiront bien par avoir raison de moi.

Je suis fini.

Mort par la patrie.

Brovès, village du Haut-Var, camp militaire de Canjuers, France

Frédérique

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15 décembre 2023 5 15 /12 /décembre /2023 17:42

14 décembre 2023, virée touristique à dominante culturelle.

Nous fonçons poussées par une tram de tous les diables en direction du petit village de Pùbol en Empurdan. Les environs de Figueres noyés sous des nuées de terre que le vent arrache sur ces grands espaces qui ont connu le remembrement ne sont pas sans nous rappeler le Khamsin en Egypte. Dès que nous arrivons dans des zones où les haies ont été épargnées tout rentre dans l'ordre et c'est avec délectation que nous traversons de charmants villages avant de gagner le nez en l'air le château de Gala à Pùbol et le village qui l'abrite.

Apparemment la présence de Dali semble avoir inspiré certains des habitants, la Girafe à tête féminine est plutôt sympa.

La découverte du château va se révéler très chouette, vraiment Dali était génial !

Ce château remontant au XIe siècle a été acheté par Dali à l'état de ruine et c'est pour l'amour de Gala qu'il l'a fait revivre. La cour intérieure a gardé ou retrouvé son allure médiévale, l'intérieur quant à lui est très dalinien !

Les photos seront sans doute plus appréciées qu'un long discours mais un bref historique est quand même nécessaire.

Je ne sais pas si vous le saviez mais Gala est d'origine russe.

Oh mon Dieu ! qu'ai-je dit !!!

C'est à Moscou qu'elle a vécu majoritairement jusqu'à ses 18 ans, époque à laquelle elle est partie pour la Suisse soigner une tuberculose qui s'aggravait. En 1912, elle rencontre au sanatorium Eugène Grindel plus connu sous les noms de Paul Eluard. Ils se marieront en 1917 et une petite Cécile naitra de cette union.

Gala a connu toute une flopée d'artistes dont les noms font rêver : Max Ernst, René Char, Bunuel, Magritte et ... Dali.

Coup de foudre dès la première rencontre en 1929. Ils ne se quitteront plus même pendant les 8 années d'exil du peintre aux Etats-Unis. A partir de 1948, tous les étés les verront à Port Lligat près de Cadaquès et en 1968, pendant que nous nous exercions au lancer de pavés à Paris, Dali achète le château de Pubol pour Gala qui ira jusqu'à exiger que pour venir la voir Dali lui adresse une demande écrite !!! Il y a quand même inscrit sa "patte" ne serait-ce qu'avec le bassin dans le jardin où Wagner est fort présent. Impossible de ne pas deviner l'admiration que Dali lui portait !

Le contrat a été respecté par Dali jusqu'au décès de sa muse mais partir de 1982, et jusqu'à sa mort en 1989, le château devient son atelier permanent ! 

Voilà, vous savez l'essentiel, voici donc quelques photos !

Après avoir salué "Raminagrobis" le maître des lieux, la visite s'est poursuivie jusqu'au Sanctuaire dels Angels où Gala et Dali s'étaient mariés et d'où l'on domine tout l'Empurdan, le Girones. La vue s'étend à perte de vue, sur les Îles Medes, le Canigou...

Sublime au sein d'une nature absolument divine.

La suite de notre journée s'est poursuivie par une halte à Girone où nous fûmes en quête d'une dégustation de "chocolate a la taza". Raté, la chocolaterie était fermée et son charme désuet nous a manqué, nous avons juste déambulé nous délectant de la vue depuis rives de l'Onyar !

Dominique

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10 novembre 2023 5 10 /11 /novembre /2023 20:29

Sœur Juliette

Une nouvelle de Frédérique Longville

 

Abbaye Saint-Martin du Canigou

Juliette sursaute. La cloche de l’abbatiale ébranle le silence de la montagne, répercutée par l’écho. L’heure de l’office ! Elle est encore en retard. Elle ignore depuis combien de temps elle est là, à rêvasser, le regard perdu dans le ciel, fascinée par les forme évocatrices des nuages. Curieusement, tout à l’heure, par le hasard de courants contraires, deux masses nuageuses glissant l’une vers l’autre, sont venues former un cœur d’azur d’une forme presque parfaite au dessus de sa tête. Un hasard ? Peut-être, mais comment ne pas y voir un signe, un message divin doux et réconfortant ?

Oh, Juliette sait bien qu’elle est aimée par Celui à qui elle a décidé de consacrer sa vie. Il l’aime tout autant qu’elle L’aime… Et plus encore ! Mais alors, pourquoi sa sérénité est-elle de plus en plus souvent ébranlée, pourquoi le doute s’insinue-t-il régulièrement dans ses pensées ? Pourquoi cette nostalgie, cette tristesse s’installe-t-elle en elle depuis quelques temps ? La tristesse, mais aussi l’angoisse, une angoisse qui confine parfois à la panique… Depuis quand ?

En réalité, elle ne saurait le dire précisément, ni si ce malaise provient d’un évènement précis dans sa vie. Le doute est arrivé sournoisement, insidieusement au début, insignifiant à tel point qu’elle n’en a pas pris conscience sur le moment. Une chute de moral par ci, un air de mélancolie par là, un brin de nostalgie en passant. La gaîté, l’enthousiasme et la confiance des premiers mois s’en sont allés.

Pourtant, Juliette en est convaincue, cela n’a rien à voir avec ce lieu magique où elle réside, ce décor grandiose dont la découverte lui a gonflé le cœur d’un élan de joie authentique et pur. Jamais elle ne s’était sentie aussi proche du Divin. Aurait-elle jamais pu imaginer dans ses rêves les plus fous pouvoir vivre en un si bel endroit, au sein d’une majestueuse abbaye du XIème siècle érigée à flan de montagne, en surplomb d’une étroite vallée creusée par un torrent tumultueux. Protégée par les murs séculaires, Juliette y a enfin trouvé la paix et la sécurité auxquelles elle aspirait depuis toujours. La beauté des bâtiments, l’élégance des jardins peuplés d’oiseaux, la somptuosité du décor dominé par les crêtes dentelée du massif, tout comme l’accueil chaleureux d’une communauté bienveillante et joyeuse ont aussitôt comblé tous ses désirs et ses espoirs. La vie monastique, enfin, lui apportait le meilleur dans l’amour du Christ ; le bonheur absolu.

Mais aujourd’hui, la beauté des lieux, la gaîté et la bienveillance des sœurs de la congrégation, une vie simple rythmée par les offices, les occupations quotidiennes, -cuisine, entretien des lieux, jardinage...- ne lui suffisent plus. L’esprit de Juliette s’évade de plus en plus fréquemment dans une autre vie, celle de son passé, auprès de ses parents qui viendront la voir bientôt, de sa sœur qui se marie au printemps et vit depuis deux ans dans le Lot avec son futur époux, de son frère handicapé depuis sa naissance et qui a failli mourir au début de l’hiver. Les images de sa vie de petite fille intrépide et rêveuse lui reviennent en mémoire, les vacances dans la propriété de son grand-père en Normandie, les chevaux et les folles parties de jeux avec une ribambelle de cousins, les chasses au trésor et les baignades à Trouville.

Juliette se souvient aussi de son parcours scolaire, de l’école maternelle jusqu’au baccalauréat obtenu avec la mention « très bien ». Elle a adoré l’école. Élève brillante, elle a souvent été la chouchoute de ses professeurs sans que les autres élèves n’en prennent jamais ombrage. Peut-être émanait-il d’elle un charisme particulier ? L’école était son refuge, l’endroit où elle trouvait la stabilité trop souvent ébranlée chez elle par la maladie de son père. Diagnostiqué schizophrène depuis de nombreuses années, en proie à de nombreux délires mystiques, ses crises étaient fréquentes, surtout lorsqu’après plusieurs semaines de traitement, il décidait de tout arrêter. Les rechutes étaient terribles. Juliette vivait dans une peur permanente. Elle aimait son père, bien sûr, mais que n’aurait-elle parfois donné pour que son état l’oblige à demeurer interné, ce qui arrivait épisodiquement.

A l’école, puis au collège et au lycée, Juliette avait toujours trouvé le calme et la paix à laquelle elle aspirait. Elle pouvait enfin oublier le fragile équilibre familial, se laisser aller passagèrement à une insouciance de son âge. Juliette voulait faire de longues études. Elle aimait les langues, la philosophie mais les sciences l’attiraient également et elle ne savait trop vers où s’orienter. Guidée par ses parents, pratiquants convaincus, et par le prêtre de la paroisse, elle décida de consacrer ses premières vacances de bachelière à une retraite dans un centre de jeunes catholiques, pour se donner le temps de réfléchir. C’est au cours de ces quelques semaines estivales, pleines de joie et de partage, que l’idée d’embrasser la voie religieuse prit tout son sens pour Juliette. A la fin de l’été, sa décision de ne plus quitter la communauté et de consacrer sa vie au Christ, fit l’effet d’une bombe au sein de la famille. Mais plus rien ne pouvait désormais la faire changer d’avis : elle serait religieuse.

 

 

 

Juliette a tenu bon. Après avoir intégré la communauté en tant qu’aspirante, la congrégation l’a orientée là où elle se trouve actuellement, en qualité de postulante, puis de novice. En vérité, elle ne regrette pas son choix, son engagement au sein de l’église, mais peu à peu un sentiment de manque s’impose à elle. Juliette a toujours eu soif d’apprendre et la vie monastique ne la nourrit plus comme elle le souhaiterait. A son arrivée, on lui avait assuré qu’elle pourrait étudier la philosophie et la théologie, or, à ce jour, plusieurs années après, aucune perspective d’enseignement ne lui a été offerte. Son père, lui-même, s’en désole.

Mais peut-être manque-t-elle de patience ?

 

 

 

 

Juliette pénètre tout essoufflée dans l’église et va s’installer le plus discrètement possible dans un recoin sombre de l’édifice sous le regard réprobateur d’une ou deux sœurs. Elles ne sont pas les seules à avoir remarqué son retard. Tout au fond de l’église, à droite de l’entrée, un homme d’un certain âge l’observe avec insistance. De haute taille, les cheveux blancs, mi-longs, le visage osseux et le regard bleu, il fait parti des quelques laïcs que la communauté accueille régulièrement dans ses murs, le temps d’une retraite spirituelle. Hugo Pfister est un habitué. Professeur de philosophie à la retraite, il séjourne une ou deux fois par an à l’abbaye où il trouve le silence et la paix propice à la méditation et à ses travaux d’écriture. Son comportement intrigue un peu tout le monde. Sa présence aux offices est rare et remarquée. A la différence des autres laïcs qui fréquentent généralement les lieux et font preuve d’une grande ferveur, tant pour réciter les prières que pour joindre leur voix aux cantiques, le professeur observe toujours le plus grand silence dans une parfaite économie de gestes. Toujours respectueux, il participe peu, se contentant de suivre le mouvement des fidèles, sans prononcer un mot et sans jamais communier. Mis à part les repas pris en commun, ce drôle de fidèle ne se mêle que rarement aux activités collectives, veillées ou jeux de société qui réunissent dans de joyeux moments de convivialité les « invités » et la communauté religieuse.

Juliette constate que les « retraités » sont de plus en plus nombreux sous leur toit. Que ce soit des personnes seules, en couple, ou des familles avec enfants, le désir de partager, ne serait-ce que quelques jours, la vie communautaire, connaît un véritable engouement. Cette ouverture sur l’extérieur représente pour tous un réel enrichissement et de nombreuses occasions d’échanger et de se réjouir ensemble. Une belle façon de vivre sa spiritualité. Mais Juliette y ressent parfois une bizarre sensation d’amertume … Envie ou regrets ? Les deux, peut-être.

Pourtant, elle prend souvent plaisir à échanger avec les résidents temporaires. Hugo Pfister l’intrigue. Elle aime son sourire et son regard bienveillant. Mais il l’intimide aussi beaucoup. Elle se sent gauche et ignorante en sa présence. Elle aimerait tellement échanger avec lui dans le domaine de la philosophie qui la passionne, mais comment oser ? Elle a la tête en friche, elle ne saurait que dire. Peut-être pourrait-il lui conseiller quelques livres ? La bibliothèque de l’abbaye regorge d’ouvrages sans doute passionnants, mais elle ne sait où donner de la tête. Elle sent que cet homme pourrait l’aider mais elle hésite à aller vers lui de crainte de paraître stupide.

Juliette a bien conscience d’assister à l’office en dilettante. Trop de pensées lui tournent dans la tête. Peut-être a-t-elle besoin de vacances ? Dommage qu’il lui faille encore attendre deux longs mois pour profiter des quatre jours qui lui sont accordés afin d’ assister aux festivités de mariage de sa sœur !

Soudain, les premières notes d’un très beau chant religieux s’élèvent sous la voûte ancestrale, magistralement exécutées par une résidente occasionnelle, une jeune femme effacée et secrète qui a mis du temps à se laisser convaincre de mettre son talent de pianiste au service de la communauté. Chacun s’en réjouit et regrette déjà son prochain départ. Juliette ferme les yeux, happée par la magie du chant, joignant sa voix avec bonheur à celles de ses consœurs. Une onde bienfaitrice parcourt son corps. En cet instant précis, elle n’a plus aucun doute. Elle est parfaitement à sa place ici, en communion parfaite avec l’Univers qui l’entoure. Son cœur se gonfle d’amour et de joie. Elle est en paix.

 

 

 

L’office se termine. Traditionnellement, la mère supérieure est la première à se diriger vers la sortie. Brusquement, parvenue à la hauteur de Juliette, elle s’arrête et enveloppe la jeune nonne d’un regard perçant. Juliette se sent rougir. Aurait-elle, elle aussi, remarqué son retard ?

- Je voudrais vous voir dans mon bureau dans dix minutes, sœur Juliette. A tout de suite.

La voix est douce, mais ferme. Juliette s’embrase en hochant la tête. Quelle faute a-t-elle commise ? Ce court retard justifie-t-il une sanction ? Un élan de révolte monte en elle tandis que la mère supérieure s’éloigne et que l’ensemble de l’assemblée quitte l’église à sa suite, mais aussitôt, une petite voix intérieure sentencieuse la sermonne : « C’est normal, tu fais n’importe quoi en ce moment. Il fallait t’y attendre, non ? ».

 

 

 

Une demi-heure plus tard, hagarde, éperdue, Juliette remonte lentement le couloir désert qui débouche sur le cloître. Elle est comme ivre, sonnée par la nouvelle qui vient de lui être assénée, une heureuse nouvelle, aux dires de la mère supérieure qui se faisait visiblement une joie de la lui annoncer. Juliette va poursuivre son noviciat au Canada, dans la province de Québec où la congrégation vient d’installer une communauté.

Abasourdie, Juliette est demeurée muette durant une longue partie de l’entretien, s’efforçant d’intégrer toutes les informations, de les analyser, dans l’espoir de s’en réjouir, comme sa supérieure semblait l’espérer.

En vain.

- Mais… Je vais devoir partir quand ?

- A l a fin du mois. C’est une chance, l’hiver sera presque terminé. Je crois qu’il est assez rude là-bas, mais ce doit être magnifique. Je vous envie !

A la fin du mois ! Juliette n’a fait qu’un bond, le visage déformé par le désarroi et l’horreur :

- Mais… Et le mariage de ma sœur ?… Je ne vais pas pouvoir y assister !

- Ah… Non, bien sûr. Mais est-ce bien le plus important ?

- C’est que… Je me réjouissais de revoir ma famille…

Un sourire compatissant a étiré les lèvres de la mère supérieure.

- Je comprends. Mais dites-vous bien, sœur Juliette, que votre famille, désormais, c’est la congrégation, l’Église… Le christ. N’est-ce pas ?

Juliette a à peine eu la force de formuler une timide approbation, suffisante pour arracher à sa supérieure un sourire triomphant :

- Alors, tout va bien !

- Je… Je vais rester longtemps, là-bas ?

- Je ne sais pas… Plusieurs mois car vous allez pouvoir y suivre un cursus complet de philosophie et de théologie ; je crois que c’est ce que vous souhaitiez. Mais peut-être aussi, des années, qui sait ?

Hébétée, anéantie, Juliette n’a rien répondu, le regard fixé au sol, les pensées en désordre.

- On ne peut pas reculer un peu la date du départ ?

Évitant le regard incrédule de sa supérieure, elle a cherché ses mots dans l’espoir de la convaincre :

- Juste pour que je puisse… C’est si loin, Québec… Jamais mes parents ne pourront venir me voir là-bas. Ils n’ont pas beaucoup d’argent et…

Le silence de la mère supérieure se prolongeant, Juliette osa enfin un regard en direction de son visage :

- Non. On ne peut pas reculer la date du départ. Nous avons fait vœu d’obéissance. Ne l’oubliez pas.

Juliette baissa la tête, vaincue.

- Vous pouvez vous retirer… Je vous suggère quelques minutes de recueillement dans la chapelle…

 

 

 

 

 

Juliette est épuisée et se laisse tomber sur un banc en pierre dans un recoin du cloître qui surplombe le ravin. En contrebas, le torrent dévale bruyamment les flancs de la montagne. Le Canada, Québec… Autant dire le bout du monde. Recroquevillée, les jambes pliées devant elle, les bras entourant ses genoux, le visage enfoui dans le tissus rugueux de l’habit monacal, elle se laisse envahir par le sentiment de détresse qui l’a saisie dès les premiers mots de sa supérieure. Elle ne reverra plus sa famille. Ou très épisodiquement, selon le bon vouloir de ses supérieurs. « Est-ce le plus important ? » a questionné la mère supérieure… Oui ! Répond le cœur douloureux de Juliette. Oui, elle les aime et ils lui manquent, en dépit de son amour intact pour Jésus. Elle est incapable de faire une croix sur eux. Elle a renoncé à son désir d’enfant, c’est déjà beaucoup et aujourd’hui, ce qu’elle envisageait il y a peu comme un sacrifice glorieux lui est de plus en plus pénible.

Elle s’est raisonnée, s’est persuadée de la justesse de sa vocation mais voilà que son engagement lui parait exagérément douloureux. Elle qui cherchait la paix en embrassant la voie religieuse, ne ressent plus que détresse et désespoir. Jésus ne peut l’aider en rien.

- Bonjour, ça va ?

Juliette sursaute, se redresse vivement, offrant à son interlocuteur un visage décomposé. Le professeur se tient face à elle, visiblement désolé de sa mine abattue. Des deux mains, elle s’essuie vigoureusement les yeux et renifle :

- … Oui, répond-elle dans un souffle.

Hugo Pfister ne peut retenir un léger rire :

- Hé bien… Excusez-moi, mais… On ne dirait pas.

- Je suis désolée, bredouille Juliette en fouillant dans sa poche à la recherche d’un mouchoir.

- De quoi ?

- De m’être donnée en spectacle.

Le professeur inspecte rapidement les alentours d’un air perplexe.

- Vous n’avez pas beaucoup de spectateurs… à part moi.

- C’est déjà trop ; j’ai honte…

- D’être triste ? Vous avez le droit.

- Mais je n’ai aucune raison.

- Ah...

Juliette aimerait s’enfuir, mais le professeur se tient devant elle, comme un obstacle à une possible retraite.

- Je peux m’asseoir ? Dit-il doucement.

A son corps défendant, Juliette bredouille un vague assentiment, sans oser dire qu’elle préférerait être seule.

- Apparemment, il y a au moins une raison, reprend-il. Mais vous n’êtes pas obligée de m’en parler.

Juliette soupire.

- En réalité, je devrais me réjouir, confie-t-elle en s’efforçant de parler normalement, d’analyser sans émotion la situation. C’est d’ailleurs ce que la mère supérieure m’a dit. J’ai une chance inouïe ; je vais voyager et j’adore ça. On m’envoie au Canada. Vous connaissez ?

- Un peu Québec. C’est tout.

- C’est là que je dois aller. Québec. Dans une maison de la congrégation.

Hugo Pfister hoche la tête.

- Il paraît que c’est un beau pays. Sans doute trop américanisé à mon goût. Personnellement, j’ai renoncé aux voyages en avion. Question d’éthique. Il y en a qui trouvent ça stupide. De toute façon, je trouve qu’il n’est pas nécessaire d’aller loin pour trouver la beauté.

- Je n’ai pas le choix, réplique Juliette avec amertume.

- Bien sûr. D’une certaine façon, c’est une nécessité pour votre… « travail ». Moi, je suis retraité, je fais ce que je veux.

- Je me plaisais bien ici, moi…

Le silence qui suit rend l’atmosphère lourde et pénible. Juliette est la première à réagir, préférant changer de sujet :

- Vous venez souvent ici, remarque-t-elle.

Ce n’est pas une question, mais une constatation.

- Oui, c’est un lieu paisible… et tellement beau.

- Mais pourquoi à l’abbaye, et pas… en bas, dans un hôtel, un gîte ?

La question a échappé à Juliette. Le regard surpris du professeur la fait rougir.

- Mais pourquoi pas ?

Elle se trouble :

- Vous ne priez jamais, lâche-t-elle d’une voix prudente.

- Qu’en savez-vous ?

De plus en plus gênée, Juliette tente de justifier sa remarque avec un petit haussement d’épaule :

- Lorsque vous venez aux offices… je ne vous vois pas participer. Excusez-moi… Je ne devrais pas vous dire ça.

- Si vous avez remarqué ça, c’est que vous n’êtes pas très concentrée, remarque-t-il en s’amusant de son air gêné.

Il ferme à demi les yeux, un petit sourire énigmatique accroché à ses lèvres. Bizarrement, la question de Juliette semble le mettre en joie. Depuis quatre ans, il fréquente l’abbaye à raison de deux retraites par an et c’est la première fois qu’un des membres de la communauté semble s’interroger sur ses motivations profondes.

- Je prie. Si, si, je prie. A ma façon. Pour moi, prier est un acte profondément personnel, intérieur. Je n’ai pas besoin d’apprendre des prières par cœur… J’ai eu une enfance catholique et j’en connais, bien sûr. J’ai pratiqué dans ma jeunesse. Pas très assidûment, je le reconnais. Et puis, je me suis fâché avec la religion. Je n’arrive pas à adhérer aux rites, aux dogmes, à cet espèce de carcan qu’une religion impose à ses adeptes. Mais par ailleurs, je ne me suis jamais senti athée. J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de Plus Grand que nous, une Force… Une Force d’Amour. Je la sens partout… Et surtout dans la nature, chez les animaux, les végétaux. Chez certains humains aussi. Mais beaucoup trop sont corrompus par l’argent. Ce que j’aime ici, c’est que, dans la beauté du lieu, de cette nature grandiose qui nous entoure, l’homme, porté par la foi, a réalisé une merveille.

Le professeur se tait un instant et Juliette attend patiemment qu’il poursuive, fascinée par ses propos.

- Moi, j’ai besoin de liberté pour prier, reprend-il enfin. Derrière les mots des prières, des prêches, je perçois toujours…

Hugo Pfister s’interrompt, hésitant, à tel point que Juliette craint qu’il n’ose poursuivre. Mais elle veut savoir :

- Vous percevez quoi ?

- La manipulation.

Elle fronce les sourcils, surprise, un peu choquée aussi. Comment doit-elle comprendre cette remarque ?

- Comment ça ?

Le professeur soupire et grimace :

- Je ne devrais peut-être pas dire ça ici, mais… Pour moi, trop souvent, le discours de l’Église véhicule la peur. Le fidèle doit craindre le jugement de Dieu pour rester sur la bonne voie. Il faut battre sa coulpe, confesser ses péchés, faire pénitence… Et puis, il y a cette idée permanente de sacrifice…

Il se redresse brusquement avec un geste nerveux de la main, comme s’il balayait ses pensées pour les chasser au loin :

- Non, je me tais, cette discussion va nous emmener bien trop loin !

Juliette est déçue. Il lui semble qu’elle pourrait l’écouter parler pendant des heures.

- Mais… ça m’intéresse, proteste-t-elle.

Il secoue la tête :

- Non, je ne peux pas m’autoriser à développer ça ici… Je suis désolé.

Juliette aussi. Elle n’a pas envie de le laisser partir :

- Comment priez-vous ? Questionne-t-elle doucement.

Il sourit, tardant à répondre.

- Avec mon cœur… Avec mes mots, à moi. Je remercie surtout beaucoup. La Vie. Je remercie pour la paix, pour la beauté, pour une averse ou pour un rayon de soleil. Pour toutes les circonstances qui me font apprécier la vie. Pour une rencontre, pour un sourire croisé en chemin… Pour un vol d’oiseaux dans le ciel, un arbre, une fleur. On peut trouver mille prétextes chaque jours pour remercier la Vie. Elle est magique.

Juliette est d’accord, mais ne peut néanmoins exprimer quelques objections :

- Et les situations, les rencontres désagréables ?

- Je m’empresse de les gommer ou de rechercher s’il y a en elles un aspect positif… Mais cela ne m’empêche pas d’être capable de me mettre en colère ! Je suis loin d’être parfait, vous savez !

Juliette aime le rire du professeur, sa voix qui apaise, sa lucidité, sa franchise. Quelle chance de pouvoir lui parler. Et il a raison ! Si elle n’avait pas eu cet entretien avec la mère supérieure, si elle n’avait pas appris cette nouvelle qui l’a bouleversée, elle ne serait pas là à s’entretenir avec lui, à goûter cette leçon de sagesse qui l’aide à retrouver un peu de sa sérénité.

- Mais il y a des drames aussi, ajoute-t-elle.

Le visage d’Hugo Pfister se fait plus grave :

- Bien sûr. Je connais. J’ai connu…

Il laisse filer quelques instants de recueillement intérieur avant de reprendre :

- J’ai perdu mon fils… Mon fils unique.

Juliette lève vers lui un regard douloureux, suspendue à ses lèvres.

- J’ai vécu l’enfer. J’étais pétri de douleur et de colère. Et ça a duré longtemps. Des années. Des années pendant lesquelles j’ai cherché à comprendre, à me faire aider. J’ai trouvé. Grâce à des lectures, des rencontres avec des personnes exceptionnelles – dont un prêtre, je dois dire- j’ai réussi à dépasser ma révolte et à comprendre que la mort est simplement un passage, un changement d’état… De niveau énergétique. Vous connaissez la loi de conservation de Lavoisier ? « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme... ». Hé bien voilà, c’est ça : mon fils est vivant, quelque part, différemment, mais vivant. Je reste frustré, vous savez, mais je sais que je le retrouverai un jour. Je remercie la Vie de l’avoir mis sur mon chemin ainsi que les bonnes personnes pour m’aider à survivre à ce drame sans aigreur.

Juliette demeure songeuse, ébranlée par ce témoignage poignant.

- Mais vous priez qui ?

- Je prie…

Il s’interrompt, un peu perplexe.

- Dieu ? Suggère Juliette.

- C’est le nom que je pourrais lui donner, dans le sens où il s’agit de la Source de toute chose. Mais loin de moi l’idée de personnaliser cette expression ! Pour moi, Dieu ne saurait être représenté d’aucune façon, et surtout pas sous la forme humaine, bien sûr ! Dieu est partout. Dans toute chose, dans tout être, du plus minuscule à l’infiniment grand. Dans tous les règnes, animal, végétal, minéral… C’est l’Univers tout entier. Dieu est partout et en chacun de nous. C’est pourquoi j’estime ne pas avoir besoin d’intermédiaire pour m’adresser à lui. Je deviens animiste avec l’âge. Vous savez, je me sens de plus en plus proche des tribus dites « primitives » !

- Et Jésus ?

- Jésus, répète le professeur avec un sourire plein de tendresse. « Jeshua », pour moi... - je vais peut-être vous choquer, mais tant pis puisqu’on est à l’heure des confidences et de la sincérité !- Jésus n’est pas un Dieu mais il fut un homme exceptionnel habité par l’esprit de Dieu. Une Grande Âme… Un être de Lumière. Oh, bien sûr qu’il était capable de se mettre en colère ! C’était un homme. Quel Homme ! Ses colères étaient justes et destinées à faire grandir notre humanité. Bien peu l’ont compris. Même dans l’Église qui s’est empressée de saisir ses paroles pour exercer un pouvoir sur ses fidèles. En les déformant parfois… Souvent. Mais là, je n’en dirai pas plus, ma sœur !

Il enveloppe Juliette d’un regard malicieux.

- Je suis un rebelle, un contestataire, ajoute-t-il en riant. Mais je m’adresse souvent à Jésus dans mes prières et je sais qu’il m’aide lorsque j’ai besoin de lui. Mais vous aussi, vous pouvez lui demander de l’aide ! Vous êtes bien placée pour ça, non ?

Juliette rougit sous le regard insistant du professeur.

- Vous êtes novice ? Enchaîne-t-il vivement.

- Oui.

- Depuis longtemps ?

- Deux ans, bientôt.

- Et vous avez prononcé vos vœux temporaires ?

- Il y a peu de temps.

- Vous suivez des études ?

- Je vais entamer un cursus de philosophie et de théologie au Canada. Il y a longtemps que j’en ai envie.

- Et en attendant, vous lisez beaucoup, je suppose…

- Oui, mais il y a tellement d’ouvrages dans la bibliothèque de l’abbaye que je suis un peu perdue. Je ne sais pas toujours quoi choisir. Vous pourriez me conseiller ?

- J’irais y faire un tour et je vous ferai une liste. Mais surtout, je peux vous passer deux ou trois livres ! Il faut lire Montaigne… Je ne sais pas si vous le trouverez ici.

Juliette a à peine remarqué le léger clin d’œil plein de sous-entendus du professeur. Elle est surtout déçue :

- Je n’aurai pas le temps de lire avant mon départ.

- Vous les garderez. Je serai heureux de vous les donner. Vous partez quand ?

- A la fin du mois.

- Vous êtes obligée ?

- J’ai fait vœu d’obéissance.

- Pourquoi ?

Juliette le dévisage, troublée.

- Comment ça, « pourquoi » ?

- Oui, pourquoi ? Je me demande toujours ce qui peut pousser quelqu’un à faire vœu d’obéissance… Que ce soit dans la religion ou dans l’armée. Moi, je ne comprends pas. Je suis profondément, viscéralement, rebelle et désobéissant.

Juliette hausse les épaules :

- C’était ma voie… C’est… C’est plus facile.

Hugo Pfister sursaute, profondément surpris :

-Ah bon ?! Ah non, pas pour moi ! Et, excusez-moi, mais, vu votre réaction, je n’ai pas l’impression que ce soit si facile pour vous aujourd’hui.

- Oui, mais c’est parce que j’ai été prise de court. Je ne m’attendais pas à ça et je suis déçue de rater le mariage de ma sœur.

Juliette sent son cœur se serrer ; l’émotion revient à grands pas. Elle craint de se mettre à pleurer en présence de cet homme.

- Je serai loin de mes parents, de ma famille et… Je ne sais pas quand je pourrai les revoir…

Brusquement, Juliette saute sur ses pieds :

- Excusez-moi, je préfère ne pas en parler !

Elle s’est déjà éloignée de plusieurs mètres lorsque le professeur la rappelle :

- Ma sœur !

Juliette s’immobilise pour lui adresser un regard interrogatif.

- Êtes-vous sûre d’être sur la bonne voie ?

 

 

 

 

Juliette est rentrée précipitamment dans sa chambre, impatiente de donner libre cours à sa peine à l’abri des regards. La question d’Hugo Pfister la hante. Est-elle sur la bonne voie ?

Elle pensait l’être vraiment et c’est avec conviction et enthousiasme qu’elle a prononcé ses vœux. Prononcerait-elle aujourd’hui ses vœux définitifs dans le même état d’esprit ? Juliette se pose la question, les yeux fermés, concentrée sur ses ressentis. Tout son corps se crispe et les battements de son cœur s’accélèrent.

Est-elle capable de faire une croix sur tout ce qui a été sa vie jusqu’à ce jour ?

Elle se sent étouffer.

Non… Non !

Non, elle se trompe de chemin. Mais pire, on l’a trompée.

 

 

 

Trois jours se sont écoulés avant que Juliette ne retrouve une occasion de revoir le professeur Pfister en tête à tête. Elle n’a cessé de réfléchir depuis, obsédée par la menace imminente de son départ. Il est clair que tout en elle, corps et esprit, s’y oppose. Elle se sent piégée. Prisonnière. C’est insupportable. Doit-elle se soumettre, accepter, en espérant finir par s’habituer, voire même apprécier la nouvelle orientation de sa vie ? Peut-être y a-t-il une Volonté Supérieure qui sait mieux qu’elle ce dont elle a besoin, après tout ? Comment savoir ce que Dieu attend d’elle ? Si c’est l’obéissance, pourquoi alors se sent-elle si malheureuse à l’idée du départ ?

Perdue dans ses pensées, Juliette se livre au nettoyage mécanique des carrés médiévaux où sont cultivées les « simples », les plantes aromatiques et médicinales dont les sœurs font grand usage.

- Hé bien ! Vous voilà en grand désherbage, on dirait ! Fait une voix derrière son dos, l’arrachant à ses sombres réflexions.

Juliette relève le nez. Hugo Pfister se tient debout derrière elle, un ouvrage à la main. Elle se redresse aussitôt, un pâle sourire aux lèvres.

- Je vous ai apporté un de mes livres préférés, déclare-t-il avec une satisfaction évidente.

Juliette considère le livre sans le prendre, émue qu’il ait tenu sa parole :

- Je vous remercie, mais je n’aurai pas le temps de le lire…

- J’insiste.

Après quelques instants de réflexion, Juliette se décide à prendre l’ouvrage.

- Merci.

- Je vous ai fait une petite liste de livres intéressants ; ils sont dans la bibliothèque… Et, il y a mes coordonnées sur le livre.

- C’est gentil. Merci beaucoup.

- Vous aimez ça, jardiner ?

- Oui, j’aime tout ce qui touche à la nature… M’occuper des poules, des chèvres… Mais ça, ce n’est pas vraiment du jardinage. Les mauvaises herbes poussent plus vite que le reste !

- Les mauvaises herbes ne sont jamais que des plantes dont on ne connaît pas encore les vertus ! Déclare sentencieusement le professeur.

Juliette sourit.

- C’est lui qui le dit, ajoute Hugo Pfister, en désignant la couverture du livre. « Ralph Waldo Emerson »…

Juliette baisse les yeux sur l’ouvrage en souriant :

- C’est bien dit. C’est sans doute vrai.

- Absolument ! Bon, allez, je vous laisse travailler ! Bonne journée !

Juliette le regarde s’éloigner et disparaître avec de glisser le livre dans sa poche et de reprendre son occupation. A peine dix minutes plus tard, un appel retentit à son intention :

- Sœur Juliette ! On vous attend pour jouer !

Une petite blondinette de sept ou huit ans, vêtue d’un short en jean et d’un tee-shirt blanc se dirige vers elle en trottinant. Juliette se redresse lentement. Elle avait complètement oublié qu’une chasse au trésor a été organisée par la communauté pour distraire les résidents temporaires.

- J’arrive… Je n’avais pas regardé l’heure.

La frimousse réjouie de la gamine lui arrache un sourire. Au loin, un petit groupe composé d’une quinzaine d’adultes et de six ou sept enfants l’attend de pied ferme. Attrapant la menotte qui se tend vers elle, Juliette s’empresse de parcourir la distance qui les sépare aux côtés de l’enfant. Rapidement, la sœur qui a tout organisé donne les consignes de jeu devant un auditoire attentif.

Quelques secondes plus tard, Juliette a déjà décroché et éprouve la sensation bizarre d’un dédoublement… Son corps est bien là, au cœur de l’allégresse ambiante, mais son esprit survole la mêlée d’un œil distant et critique. Les rires, les exclamations de joie ne la concernent pas. De la part des adultes, il y a même quelque chose qui l’agace considérablement. « C’est puéril », se surprend-elle à penser avec un vague mépris.

Et tout en s’en voulant de ce jugement dévalorisant à l’encontre de ses semblables, elle pressent que pour la première fois, elle va subir ce divertissement et s’ennuyer profondément.

« Qu’est-ce que je fais là ? », songe-t-elle, se souvenant brutalement que la veillée précédente consacrée à des jeux de société lui avaient déjà paru interminable.

- Excusez-moi… Je ne me sens pas très bien, déclare-t-elle soudain.

Bien consciente de la multitude de regards interloqués qui la suivent dans sa course, Juliette prend littéralement la fuite.

 

 

 

Le temps file à toute allure. Juliette agit en automate presque toute la journée et ne vit vraiment que pour ses échanges avec le professeur. Elle ressent comme une urgence à profiter de sa présence avant son départ qui ne doit précéder le sien que d’une petite semaine. Le reste de son temps est totalement accaparé par les offices et les tâches quotidiennes. Juliette participe mécaniquement, perturbée par des pensées de plus en plus critiques vis à vis de ce qu’elle vit. Elle est déjà ailleurs, mais certainement pas au Canada car elle ne peut plus envisager partir.

Le soir, épuisée, elle se couche sans avoir vraiment le temps de lire. Elle aimerait pourtant pouvoir livrer ses premières impressions. Mais elle n’avance pas et s’en désole chaque jour davantage, bien qu’il lui ait assuré qu’elle pourrait le garder. Heureusement, leurs discussions agissent sur elle comme des révélateurs, des activateurs de conscience. Juliette réalise à son contact qu’elle n’a jamais vraiment pensé par elle-même, que ses jugements, ses actes ont toujours été guidés, canalisés, contrôlés. Des parents catholiques fervents, pratiquants convaincus, une école et des enseignants choisis pour peaufiner leur éducation, des vacances chez les scouts pour rester en accord avec leur principes et surtout des amitiés sélectionnées en fonction du milieu social. Aucune chance de s’écarter du « droit » chemin !

Au contact du professeur, Juliette est amenée à réfléchir sur sa vocation religieuse. Hugo Pfister a été marqué par sa remarque sur la facilité d’obéir. Pourquoi a-t-elle tellement besoin d’être guidée ? En quoi sa situation représente-t-elle une protection pour elle ?

Elle réalise peu à peu que ses croyances personnelles ne sont jamais que celles qui lui ont été transmises et que la foi inébranlable qui l’habite n’est qu’un héritage comme les autres. Jamais elle n’a douté parce que jamais elle n’a été mise en situation de rencontrer la moindre personne susceptible d’ébranler ses certitudes. Le cheminement du professeur, croyant, pratiquant, puis furieusement agnostique avant de revenir à une foi détachée des rites de la religion, une foi libre et profonde, la fascine. Elle se rend compte qu’elle n’a jamais réfléchi vraiment à ses propres convictions. Elle croit en Dieu ; parce que c’est la norme de son milieu.

Mais qu’est-ce que Dieu ?

Le professeur évoque une Force, une Énergie, la Source de toute chose, de toute vie dans le Cosmos… Juliette n’a jamais entendu parler d’énergie. Le professeur explique, expose ses idées, ses convictions, d’une voix calme, posée, non dépourvue d’humour. Pour autant, il ne cherche pas à convaincre et respecte profondément les idées opposées aux siennes, à partir du moment où chacun est libre de choisir, de se positionner et de trouver son chemin. Il ne supporte pas l’obscurantisme, l’intégrisme, la violence au nom d’un Dieu. Sa foi est sereine. Elle se résume en un mot : Amour.

Mais il lui arrive aussi parfois de se mettre en colère. La suprématie des humains sur l’univers, le monde végétal ou animal, l’indispose grandement. De quel droit, l’homme s’est-il déclaré espèce supérieure, maître du monde, ayant droit de vie et de mort, de piller, de détruire ? Comment a-t-il pu se créer un Dieu à son image ? Comment peut-il se permettre de déclarer nuisibles certaines espèces, alors qu’en réalité, il n’y a pas plus nuisible que lui ?

Juliette l’écoute, bousculée parfois par ses remarques, souvent fascinée, toujours passionnée. Leurs rencontres lui fait un bien fou. Elles la font avancer, mais elles la perturbent aussi car elle sent qu’elles la conduisent vers une issue inconfortable. Un choix. Une décision.

Opter pour la vie religieuse aura été le premier vrai choix de sa vie, mais elle prend conscience aujourd’hui, à la lumière de ses rencontres avec Hugo Pfister, qu’il était guidé par la peur. La peur de grandir, de la vie d’adulte. Sa vocation était une fuite. En se réfugiant dans la communauté, elle n’aurait plus vraiment de décisions à prendre. Elle n’aurait plus qu’à obéir. Et cela lui semblait plus facile. Jusqu’à aujourd’hui.

Elle a encore peur, pourtant, et c’est bien ce qui rend la situation difficile. Car c’est une nouvelle vie qui l’attend si elle décide de quitter la congrégation, une vie dont elle sera seul maître, une vie libre.

La liberté lui fait peur.

 

 

 

 

L’heure du départ est arrivé pour Hugo Pfister. La jeep l’attend devant l’entrée de l’abbaye pour le descendre au village avec son bagage et toute la communauté s’est réunie dans le cloître pour le saluer. Tout le monde estime le philosophe, certes un peu dissident quant à ses pratiques religieuses, mais si courtois, si calme… Un vrai sage et si Juliette peut se prévaloir d’une relation privilégiée avec lui, nombreuses sont les sœurs à l’apprécier. La plupart se réjouissent d’avance de le revoir dans quelques mois. Ce ne sera pas le cas de Juliette qui décide au dernier moment de l’accompagner jusqu’à la voiture une dernière fois.

- Nous avons peu de chances de nous revoir, remarque-t-il après avoir glissé sa valise sur la banquette arrière du véhicule, mais nous pouvons nous écrire… Je serai heureux d’avoir de vos nouvelles et nous pourrons continuer à échanger des idées… Nos conversations m’ont passionné. Vous m’avez beaucoup touché, ma sœur… Je peux vous poser une question ?

Juliette s’embrase sous le coup de l’émotion :

- Bien sûr…

- Juliette, c’est votre nom de religieuse ou votre nom de baptême ?

- Les deux. La mère supérieure a accepté que je garde mon prénom lorsque j’ai prononcé mes vœux.

- Ah, c’est bien… C’est un beau prénom.

- Merci.

- Vous avez toujours mes coordonnées ?

- Oui, je les garde précieusement.

- Quelle sera votre adresse, à Québec ? Vous le savez ?

Juliette baisse la tête sans répondre. Un peu déconcerté par son attitude, le professeur attend.

- Je ne vous importunerai pas… J’attendrai que vous me contactiez, déclare-t-il enfin.

- Vous ne risquez pas de m’importuner, répond-elle enfin. Mais je pense que je n’irai pas à Québec.

- Oh ! C’est vrai ? Vous restez ici, finalement ?

Le regard fuyant, Juliette secoue la tête :

- Non. Mais je refuse d’aller à Québec.

Un silence lourd de sens s’ensuit. Juliette relève les yeux et plante son regard dans celui du professeur.

- Vous allez désobéir, conclut-il d’une voix douce.

- Oui, répond-elle dans un souffle.

- Vous êtes sûre de vous ?

- Oui. J’ai bien réfléchi.

Un toussotement de l’autre côté du véhicule attire leur attention. Visiblement, le chauffeur s’impatiente.

- Si vous êtes en difficulté, n’hésitez pas à me téléphoner. Je vis à Toulouse, je ne suis pas loin.

- Je vais peut-être rentrer chez moi, en Normandie. Ou d’abord chez ma sœur et mon futur beau-frère, dans le Lot. Mais je vous donnerai des nouvelles, je vous le promets. Le plus dur, ce sera de trouver du travail… Je ne sais rien faire !

Elle éclate d’un rire nerveux, proche des larmes.

Hugo Pfister lui tend la main :

- Ne vous sous-estimez jamais, conseille-t-il. Je suis certain que vous avez beaucoup de cordes à votre arc.

- Je crois que j’aimerais travailler la terre et m’occuper des animaux… Ma sœur élève des brebis.

- C’est une philosophie comme une autre, et qui me plaît beaucoup. Tous mes vœux de réussite pour cette reconversion. La vie civile vous ira bien, vous verrez. Et cela ne vous empêchera pas de pratiquer ! Lancez-vous… Vous allez apprécier la liberté.

Promptement, Hugo Pfister lui lâche la main et saute sur le siège du passager :

- J’attends de vos nouvelles, Juliette !

 

 

 

Juliette revient sur ses pas, songeuse. La porte de l’abbaye s’est refermée sur elle. D’un pas traînant, elle prend le chemin des cuisines pour aider à la préparation du repas. Brusquement, elle s’immobilise. Elle ne peut plus attendre. C’est maintenant ou jamais. Là, tout de suite, alors que la présence du professeur, sa force et sa sagesse emplissent encore son être et amplifient sa détermination. Elle n’agit pas pour lui, ni sous son emprise ; elle sait que sa décision lui appartient et ne conditionne que son propre devenir. Il l’a juste aidée à y voir clair.

La force qui la pousse à présent à marcher d’un pas ferme jusqu’au bureau de la mère supérieure ne dépend que d’elle.

 

 

 

- J’aimerais vous parler, ma Mère… Je n’en aurai que pour quelques minutes.

- Hé bien, entrez, sœur Juliette.

Juliette s’avance lentement vers le bureau, étonnée de ne pas trembler. Le regard interrogateur posé sur elle est plutôt bienveillant, ce qui ne représente pas en soi un encouragement. Visiblement, son interlocutrice ignore tout de ce qu’elle a à dire et risque de tomber de haut. Elle s’en désole d’avance, mais pas assez pour renoncer.

- Ma mère, je suis venue vous dire que je n’irai pas à Québec, annonce-t-elle brutalement, comme si elle se jetait à l’eau.

En s’efforçant d’ignorer la stupeur provoquée par ses paroles, Juliette s’empresse de poursuivre d’une voix hachée :

- Je sais parfaitement ce que cela signifie. Je désobéis. Je romps mes vœux. Et je vais quitter cette communauté. J’ai bien réfléchi. Je ne changerai pas d’avis. Je suis désolée. Je vous remercie pour tout ce que j’ai vécu ici, vous et mes sœurs. J’y ai connu beaucoup de moment de bonheur. Mais aujourd’hui, j’ai compris que ma voie est ailleurs. Jésus m’accompagnera toujours, je le sais. Mais je ne peux rayer ma famille de ma vie pour Lui. Il y a assez de place dans mon cœur pour tous. Je ne me résous pas à partir si loin d’eux.

Juliette se tait et un lourd silence emplit la pièce tandis que la mère Supérieure l’observe gravement.

Juliette prend une longue inspiration :

- J’espère que vous me comprenez…

La Supérieure soupire longuement :

- Oui… Oui, je comprends. Je crois que, quelque part, je le pressentais. Votre comportement a changé depuis quelques temps. Moi aussi, je suis désolée, mais cette abbaye n’est pas une prison. Je vais prévenir la communauté qui devait vous accueillir... Je peux leur demander un délai supplémentaire, si vous voulez. Cela pourrait vous permettre de réfléchir plus longuement à votre décision.

- Je vous remercie, mais j’ai bien réfléchi. Je souhaite partir le plus rapidement possible.

La mère Supérieure se lève alors lentement pour gagner la fenêtre, tournant le dos à Juliette.

- Alors vous pourrez partir à la date prévue. Nous ferons comme si rien n’était changé. Je vous demande de ne pas parler à vos sœurs ni à personne de votre décision.

Elle se retourne alors pour lui faire face, le visage grave :

- Je peux compter sur vous pour votre discrétion ?

- Oui, ma Mère.

- Très bien. Dans ce cas, la veille de votre départ, vous serez déliées de vos vœux et j’en avertirai aussitôt l’évêque.

- Merci, ma Mère.

Sur un discret salut de la tête, Juliette se dirige vers la sortie. C’est à ce moment là qu’elle prend vraiment conscience de ce qui vient de se passer. Elle n’est plus religieuse. Elle est libre, et elle n’a pas peur, bien au contraire. Son cœur se gonfle d’allégresse à l’idée de la vie qui l’attend. Alors, elle lève les yeux au ciel et remercie l’Univers, le Souffle Divin qui lui a donné la force de briser ses chaînes.

 

 

 

Au jour J, en début d’après-midi la jeep attend Juliette à la porte de l’abbaye. La veille, il y a eu une petite fête en son honneur à l’occasion de son grand départ pour la lointaine province de Québec. Personne ne sait la vérité ; elle n’a rien dit et la Supérieure l’en a discrètement remerciée au moment où elle s’est retirée dans ses appartements. Elle ne l’a pas revue et emporte secrètement dans son cœur ses vœux pour une vie civile heureuse et épanouie, dans la joie du Christ.

Juliette se sent bizarre dans ses vêtements de ville sobres, voire austères, jupe droite, mocassins ultra plats et blouson bleu marine. Finalement, ce n’est pas sans peine qu’elle a abandonné l’habit monacal, cette espèce d’armure qui la protégeait du monde extérieur. Elle se sent exposée aux regards, même si à cette heure, il n’y a guère que le chauffeur pour la remarquer. Elle le salue maladroitement en lui confiant son bagage et prend place à l’avant du véhicule qui s’élance aussitôt dans la descente vertigineuse. La route étroite dévale en lacets serrés jusqu’au village, le chauffeur enchaînant avec brio les virages en épingles à cheveux.

- Vous avez votre voiture en bas ?

- Non, je n’ai pas de voiture, on vient me chercher.

- Je vous laisse à quel endroit ?

- A côté de la mairie, s’il vous plaît…

La descente ne prend guère plus de dix minutes et le but est bientôt atteint. Le parking est presque désert et Juliette reconnaît aussitôt le vieux break Citroën garé à l’entrée du parking. Une jeune femme y patiente, adossée à la portière, aussi brune que Juliette est blonde. Dans la minute qui suit, elles tombent dans les bras l’une de l’autre. Amusé, attendri, le chauffeur extirpe le bagage de Juliette et le dépose à côté du coffre de la voiture. Juliette le salue en le remerciant et le regarde repartir en sens inverse, à l’assaut de la montagne avant de se tourner vers sa sœur. Une nouvelle étreinte les réunit, puis Mathilde, l’aînée, s’écarte un peu pour dévisager sa cadette d’un air radieux :

- Alors, c’est vrai, c’est définitif ? Tu quittes le couvent ?

Juliette éclate de rire :

- Oui, c’est vrai et c’est définitif, mais on ne dit plus « couvent » !

- On s’en fout ! Oh ! Je suis heureuse !

- Moi aussi, en fait…

- En fait ?

- Oui, parce que j’avais peur de… d’avoir peur. Mais non.

Mathilde dévisage sa sœur comme si elle n’en croyait pas ses yeux.

- J’espérais ça depuis tellement longtemps ! Et alors, tu as prévenu les parents ?

Juliette fait la grimace. Elle n’a pas encore osé. Elle n’a pas peur de leur réaction et ne doute pas de leur soutien, mais après de nombreux mois passés à l’écart du monde, l’idée de retrouver la ville où elle a grandi l’effraie. Ils n’auraient peut-être pas compris qu’elle choisisse de faire halte dans le Lot avant d’aller les retrouver. L’idée de passer quelques jours dans une ferme en pleine nature, au milieu des brebis, apaise ses angoisses et c’est tout naturellement qu’elle s’est tournée vers sa sœur avec qui elle a toujours entretenu une belle complicité pour se réadapter au monde.

- On y va ? Propose Mathilde.

Rapidement, la valise de Juliette atterrit dans le coffre et la voiture démarre aussitôt. Juliette lève les yeux vers les crêtes montagneuses toutes saupoudrées de blanc. Elle aimait cet endroit, mais elle n’est pas triste de le quitter, au contraire. Qui sait, peut-être reviendra-t-elle ici un jour en tant que résidente temporaire ? Peut-être aura-t-elle l’occasion de retrouver le professeur ? Peu importe, de toute façon, elle a bien l’intention de lui écrire sitôt installée dans sa nouvelle vie.

- Tu vas me guider, j’espère, murmure-t-elle à sa sœur.

Mathilde lui adresse un regard interloqué :

- Te guider ?… Comment ça ?

- Sur les chemins de la liberté…

La main de Mathilde se pose sur celle de Juliette :

- On s’y fait très vite, tu vas voir, confie-t-elle avec un clin d’œil… C’est génial !

- Merci, Mathilde, chuchote-t-elle.

Le cœur de Juliette se gonfle d’allégresse. Brusquement, elle ouvre sa fenêtre, se penche vers l’extérieur, et crie de plus en plus fort, les yeux levés vers le ciel :

- Merci, Mathilde !… Merci professeur !... Merci Jésus !… Merci la Vie!

Saint-Genis des Fontaines le 13 octobre 2023

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9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 18:20

Nous avions découvert Nîmes pour la première fois en 1961, cette plongée dans le Monde Antique avait été un pur bonheur. Gamines nos parents multipliaient les occasions pour stimuler notre curiosité.

La curiosité n’est-elle pas comme le disait Piaget le moteur de l’intelligence !

Pourtant nous n’étions pas argentés, nous les Longville, que ne nous l’a t’on pas fait remarquer dans la famille !

Nous campions le plus souvent, de manière spartiate, mais les visites de châteaux, musées, sites historiques étaient au menu de nos vacances.

Cette année là nous résidions à Saint-Rémi-de-Provence, revenues à Clamart en banlieue parisienne, nous étions riches de la découverte des Antiques, du Glanum mais aussi des richesses de Nîmes et Arles !

Seul bémol, nous n’avions pas pu grimper jusqu’à la Tour Magne.

Aujourd’hui c’est chose faite, notre visite a été un sans faute.

Si vous ne connaissez pas cette ville, faites vous le plaisir de la découvrir, le monde romain y est très présent mais si cela ne vous branche pas, pas de problème, les découvertes sont partout !

Les restaurants sont légion, normal et d’une grande diversité, on s’y gare facilement, le centre ville est à taille humaine.

ET, C’EST PROPRE !

Les rues sont nettoyées au jet, mais oui !

Même dans le sud, avec la sécheresse, c’est possible !

La ville de Nîmes a fait ce pari et s’est penchée sur le cas des eaux recyclées !

Maintenant place à l’Histoire !

Nous avons commencé notre visite par l’amphithéâtre romain.

Daté de 100 ap JC, il est de 20 ans plus jeune que le Colisée. Haut de 21 mètres, il mesure 133m par 101m et sa forme elliptique rend possible une vision parfaite de l’arène où que soit le spectateur.

Il pouvait être recouvert d’un vélum et les blocs permettant cette installation sont toujours en place. C’est le mieux conservé du monde romain, galeries, vomitoires assurent toujours la circulation des spectateurs.

Jadis des galeries souterraines accueillaient gladiateurs, fauves, décors que des monte-charges et des trappes faisaient surgir dans l’arène.

Lors des premières invasions barbares au IVe siècle l’amphithéâtre fut converti en village fortifié. Du Moyen Âge au XIXe siècle ce fut un quartier à part entière avec sa propre administration. C’est vers 1860 que le monument retrouva son allure primitive pour devenir les arènes de Nîmes.

Plus de fauves, des taureaux mais les crétois ne considéraient-ils pas le taureau comme un fauve ? Il n’y a qu’à voir le culte rendu au Minotaure !

Quittant l’amphithéâtre par un dédale de petites rues toutes plus vivantes les unes que les autres nous avons gagné la Maison Carrée, faisant halte au passage à La Loconda, chouette restaurant italien où nous avons dégusté des pâtes à la Truffe absolument divines.

La Maison Carrée a sacrément changé depuis notre visite elle a retrouvé sa fière allure. Restaurés, nettoyés, colonnades, chapiteaux, modillons, frises ont été remis dans leur jus. Toute blanche, seule la Cella, le sanctuaire sacré du temple, subsiste de cet ensemble dédié à Auguste.

Elle date grosso modo de la même époque que l’amphithéâtre mais a changé de destination moultes fois. Habitation, écurie, église, maison consulaire, musée, la Maison Carrée vient d’être inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco et est le seul temple du monde romain a nous être parvenu en si bel état.

Restait à découvrir la Tour Magne. Passage obligé par les canaux issus de la source.

Perchée au point le plus élevé des jardins de la fontaine, rien à voir avec Jean De La Fontaine, cette tour est le vestige le plus important de l’enceinte romaine qui ceinturait Nemausus, Nîmes.

Tour de guet, tour à signaux, elle servit même de relais pour le télégraphe de Chappe (une de ces lignes s’achevait à Perpignan), elle culmine à 32,5m au dessus du sol et a bien failli disparaître quand un illuminé, persuadé qu’elle abritait un trésor mit à mal ses fondations. Pas de trésor, la parole de Nostradamus encore une fois avait été interprétée à tort. Que ne lui fait-on pas dire à cet homme !

Les jardins classés « Jardins remarquables » sont en effet splendides.

Fausses grottes, bassins, flore extraordinaire, nous avons grimpé gaillardement, tout habitées par le sentiment diffus d’être accompagnées par celui qui nous a fait rêvé petites au monde antique, l’âme de notre père était à nos côtés.

En ce qui me concerne, le punch m’a quelque peu quittée quand il s’est agi de grimper dans la tour. Pour accéder à la plateforme sommitale un escalier en colimaçon s’élance le long d’un énorme pilier central.

On se croise difficilement.

Le vide est partout.

J’ai le vertige.

Dure, la vie !

Redescendues nous avons regagné la « fontaine », une source permanente alimentée par une émergence karstique à l’origine de la fondation de la ville de Nîmes.

Vénérée avant l’arrivée des romains ce lieu est l’un des plus anciens de la ville et des fouilles ont permis de mettre en valeur des éléments de l’ensemble culturel romain implanté en ces lieux tel le Temple de Diane.

Nous avons retrouvé notre « Lulu » le cœur en fête cheminant le long de canaux qu’alimentent la source et peuplé d’une multitude de poissons maousse costauds.

Elle est belle la Vie, moi je vous le dis !

Et nous reviendrons, il reste des vestiges, des musées et nous retournerons à La Loconda déguster la Pasta !

Dominique

 

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 20:26

A la découverte du Château d’Ussé

Contrairement à beaucoup de châteaux du Val de Loire, le château d’Ussé n’a pas été construit à la Renaissance. C’est vers l’An Mille que l’un des seigneurs de la région décide de construire une place forte sur ses terres. La présence d’une forêt et une voie d’importance reliant Chinon à Tours rendent ce choix judicieux.

Au fil du temps, le château évolue mais les nombreuses guerres dont celle dite de Cent ans lui imposent une architecture austère. Donjon, douves, asséchées depuis, seront conservés la Renaissance venue. Il connaît une foule de propriétaires différents puis en 1659 le contrôleur de la Maison du Roi, Louis XIV en l’occurrence, l’acquiert et fort du recours à certains grands hommes de ce règne, donne au château l’allure que nous lui connaissons aujourd’hui.

François Mansard, célèbre architecte, dresse les plans du grand escalier, entre autre, pendant que Le Nôtre dessine les jardins et que Vauban s’occupe des terrasses mais qui s’en soucie en visitant le château, l'orangerie ?

En fait peu de visiteurs viennent à Ussé pour découvrir leur Art, pour le commun des mortels ce château est celui de la Belle Au Bois Dormant.

En ce qui nous concerne nous ne pensions pas que cette dénomination avait un fondement historique et pourtant ! C’est bien à Ussé que Charles Perrault situa le cadre enchanteur de ce conte publié en 1697.

Le thème de ce conte se retrouve dans de nombreuses cultures et si la version de Perrault s’inspire du conte « Soleil, Lune et Thalie » de l’italien Giambattista Basile publié en 1634 il est intéressant de savoir qu’une des premières versions intitulée « Perceforest » a été composée entre 1330 et 1334.

Il en est même une « Frayre de Joy e Sor de Plaser » datant aussi du XIVe siècle dite version provençale ou catalane selon les sources.

Personnellement celle qui m’enchante est celle des Frères Grimm « La Princesse Fleur d’épine », plus tardive. L’album pour enfants édité par Flammarion est une merveille quant à la qualité du graphisme. Noël approche, offrir ce livre est sans doute un cadeau à envisager. Éveiller les enfants à la beauté du trait et du geste graphiques, à la musique des mots, quelle merveille ! Peut-être est-ce aujourd’hui considéré comme ringard ?

En tout cas nous sommes loin de la version de Walt Disney !

Pour en revenir à Ussé, c’est dans la partie la plus ancienne du château, combles et chemin de ronde, que des passages de la Belle au Bois Dormant ont été mis en scènes.

C’est un peu poussiéreux comme conception, nous aurions bien vu en ces lieux une muséographie interactive et, ou pourquoi pas un théâtre optique comme nous l’avions découvert en visitant l’Abbaye de Nieul-sur-l’Autise en Vendée. Les personnages sous forme d’hologrammes sortent du décor pour vivre ce qu’ils ont à nous conter sous nos yeux. C’est chouette et très vivant !

Bon, ceci dit, une visite à Ussé est un régal pour les yeux et nous sommes heureuses d’avoir pu découvrir l’un des seuls châteaux du Val de Loire manquant encore à notre palmarès.

Dominique

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 18:34

L’Hélice terrestre

Sur le chemin du retour après Noirmoutier et la Bretagne, nous avons fait halte en Anjou, non pour ses vins mais pour ses « troglos » ! Percé comme un fromage de Gruyère, un nombre invraisemblable de sites troglodytiques est accessible à un public très diversifié. Nous en avons déjà découvert un grand nombre, du refuge souterrain en passant par le château renaissance plus imposant dans sa partie souterraine que ce qui nous est donné de voir à première vue de l’extérieur au village bien caché sous de vastes étendues de champs.

Restait cette hélice à la découverte de laquelle je vous convie.

J’ai tenté de faire court, pas facile !

L’Hélice terrestre est selon les propres mots de son inventeur « une sculpture épidermique » ou « une archi-sculpture », c’est donc une œuvre monumentale tout à fait surprenante qui invite le visiteur à se déplacer en son sein en faisant appel à tous ses sens.

Elle est l’œuvre de Jacques Warminski, angevin mais fils d’émigrés polonais, une origine qui lui valut une méfiance certaine de la population lorsqu’il entreprit de donner vie à son Hélice terrestre en rachetant ce qui restait du village d’Orbière.

Né en 1946, élève des Beaux Arts puis de l’École Boulle à Paris, c’est un artiste plasticien qui a exploré les nombreuses facettes de son Art.

Photographie, dessin, graphisme, sculpture… dès 1976 il se fait connaître en donnant vie à des œuvres éphémères toujours fondées sur des expériences sensorielles.

Fan de Rabelais, il en avait la corpulence et les appétits, un géant de 2 mètres, la découverte de certains de ses vêtements en exposition nous donnent une idée du personnage !

Décédé à l’âge de 50 ans en 1996, il est parti dans son Hélice !

L’Hélice terrestre a été pensée comme une structure élastique, s’il y a déformation à l’image du corps humain qui se modifie en apparence tout en restant lui-même qu’il soit assis, couché, debout ou roulé en boule, tous les volumes restent identiques.

Toute addition de matière répond à une soustraction de substance.

Mais d’abord présentons le site.

Le village de l’Orbière est un ensemble de huit habitations troglodytiques creusées dans le Tuffeau et organisées autour d’une cour et d’un puits. Remontant au XIIe siècle le village fut habité jusqu’en 1960. Il est à ce propos curieux de noter que cette date est la même pour bon nombre d’habitats de ce type, en Dordogne par exemple. C’est l’époque où les populations rurales migrent vers la ville, ses barres HLM, l’eau courante et l’électricité comme le chante Jean Ferrat.

Cinq familles y vécurent au début du XXe siècle, tisserand, couturier, cordonnier, boulanger et agriculteur, ce village comme les autres servit de refuge pendant la guerre de 100 ans.

Le tuffeau quant à lui, résulte du dépôt de sédiments à une époque où une mer chaude recouvrait toute la région. On y trouve de nombreux fossiles marins piégés il y a 100 millions d’années.

Œuvre majeure de Jacques Warminski, la création de l’Hélice terrestre couvre une période allant de 1988 à 1996.

C’est un amphithéâtre sculpté qui met en lien le monde souterrain des troglos avec le monde du dessus, celui des champs ! Tout se décline sous forme d’opposés. Le monde souterrain est sculpté de formes concaves, la partie extérieure est un monde de formes convexes sur lesquelles il est loisible de s’asseoir, se coucher…

Tout ce qui est évidé à l’intérieur a son pendant en volume à l’extérieur.

Creusés dans le tuffeau, cavités et tunnels sont eux-mêmes sculptés et tout est pensé pour nous inviter à solliciter nos cinq sens.

La sphère d’une forme parfaite se prête aux jeux de voix, à l’écoute, tandis que dans le trou noir le toucher est le seul sens nous permettant de nous orienter.

Quant à la vue, les jeux de lumière nous en mettent plein les yeux et la découverte des œuvres graphiques de Jacques Warminski nous confirme s’il en était besoin que ici rien n’est le fruit du hasard  !

Un petit film enfin pour les courageux, ceux qui ne cherchent pas ce qui va vite uniquement !

https://youtu.be/ZVhjFjKo3kU

Dominique

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30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 20:01

Si vous portez des semelles orthopédiques ou si on vous en a conseillé le port, que vous soyez adulte ou enfant, ce témoignage devrait vous intéresser.

Il y a un paquet d’années, ayant les pieds douloureux aux retours de randonnée, je suis allée sur les conseil du généraliste consulter un podologue.

Le type m’a étudié sur toutes les coutures et a conclu que n’ayant pas les jambes de la même longueur il était normal que je sois en souffrance. Une remise d’équerre s’imposait, des petites cales ici et là, comme pour un meuble bancale.

J’ai récupéré une paire de semelles et ne les ai plus quittées, suivant ses conseils.

Deux, trois semaines plus tard des douleurs au niveau du dos sont apparues.

Normal, ré-équilibrage du corps m’a t’il dit !

Les douleurs ont cessé mais ont été remplacées au fil des jours par des troubles respiratoires. J’avais toujours un « pet » de travers... bronchite, trachéite, angine et enfin sinusite.

L’homéopathe qui me suivait jusque là très occasionnellement, je suis plutôt coriace, a fini par faire le lien entre l’apparition des troubles et le port des semelles.

Exit ses dernières.

Bonjour la forme.

Néanmoins j’avais toujours mal aux pieds en rando.

J’ai donc été orientée vers un autre spécialiste qui m’a dotée d’une paire de semelles, révolutionnaires selon ses mots. Moulées à la forme de mes pieds elles m’ont apporté un soulagement indéniable…

Du temps a passé. De temps à autre les semelles étaient changées, usure oblige, sans contrôle particulier, les mêmes cotes étaient réutilisées.

2017, je me suis mise à souffrir d’otite séreuse, rien de douloureux, on a juste l’impression d’être dans une caisse de résonance et çà craque » au niveau des oreilles sans discontinuer. Homéopathie, ostéopathie, allopathie, rien n’apportait de soulagement dans le temps.

2022 !

Chaleur écrasante tout l’été, exit les chaussures fermées (ce qu’impose souvent le port de semelles). Pieds nus ou en tongs, sandales de rando 6 mois durant puis retour aux chaussures fermées et semelles orthopédiques avec la venue de la froidure.

Des douleurs aux grands ligaments plantaires ont commencé, contracturés à bloc, j’aurais pu « faire les pointes », sans pointes, comme au temps de ma jeunesse quand je faisais de la danse classique.

On a mis cela sur le non port des semelles l’été passé, rien ne soulageait.

2023

Un jour de Mai de cette année, expliquant le problème à une thérapeute pratiquant la kinésiologie, tout a changé. Sans rien dire, elle m’a demandé de me lever, est passée derrière moi puis sans prévenir m’a poussée. Je me serais affalée sur son bureau si elle ne m’avait retenue.

Ébranlée, j’ai obéi quand elle m’a demandé de me déchausser et de retourner m’asseoir. Elle m’a fait décrire le type de douleur, mes ressentis avec les semelles, sans, puis m’a invitée à marcher. Pour finir elle m’a poussée de nouveau.

Je suis restée campée sur mes 2 pieds, parfaitement stable.

La conclusion s’est imposée… le corps avait parlé, pas besoin de semelles !

Depuis Mai 2023 je ne les porte plus, petit à petit les douleurs aux pieds ont régressé et cerise sur le gâteau je n’ai plus d’otite séreuse d’ailleurs je ferme parfaitement les mâchoires, occlusion excellente !

Épatant, non ?

Par contre j’avais besoin de comprendre et notre ostéopathe, un type hyper compétent et pas avare d’explications, a « éclairé ma lanterne ».

Si à un moment j’ai eu besoin de semelles il aurait été nécessaire de vérifier le bien-fondé de prolonger l’expérience, voir d’ajuster. Leur port apporte une modification dans la posture.

Par ailleurs si nous sommes nombreux à ne pas avoir les jambes de la même longueur seul un examen approfondi peut définir s’il s’agit d’une malformation ou si cela est dû à un problème transitoire comme par exemple, une bascule du bassin. C’est donc uniquement lorsque le corps est remis d’équerre qu’il est alors possible de remédier aux problèmes de posture, souvent transitoires, grâce au port de semelles.

Voilà si j’ai pu vous alerter sur les désagréments occasionnés par le recours à des dispositifs médicaux au nombre desquels figurent les semelles, les orthèses et également les appareils dentaires des enfants (il y aurait beaucoup dire sur ce sujet*), j’en suis vraiment satisfaite !

Dominique

* à propos des enfants et des problèmes de dentition, je ne saurais trop conseiller aux parents de bannir la « tututte » (« tototte », sucette) que l’on file aux gamins. En qualité d’enseignante (40 annuités) je peux vous assurer que sans elle on aurait déjà bien moins de prises en charge de séances d’orthophonie et par la suite de pose d’appareils dentaires.

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