Paradis Perdus
« Paradis perdus » est le nouvel opus d’Eric Emmanuel Schmitt. Le premier tome de cette série de huit livres a pour titre « la traversée des temps ». Oui, huit ! L’auteur a ni plus ni moins entrepris de raconter l’histoire de l’Humanité !!! Un ambitieux projet dont on ne doute pas qu’il se sorte très bien.
Le début est assez déconcertant, lorsque le personnage principal, Noam, se réveille dans une caverne… On se dit : « tiens, une histoire qui se passe dans les temps préhistoriques »… Not at all ! Noam n’est pas seul dans sa caverne qu’un guide touristique fait découvrir à quelques humains du vingt-et-unième siècle…
Bizarre…
Accrochons-nous, la suite est passionnante !
Noam entreprend alors de nous raconter son histoire qui démarre il y a 8000 ans. Ah ?!! Mais alors ? Il a quel âge, ce bonhomme ???
Noam… Noé… Mais oui, vous allez découvrir la véritable histoire du déluge, basé sur de très sérieuses études archéologiques.
Bien sûr, la forme romanesque laisse la part belle à l’imagination. Les personnages sont attachants, l’écriture est belle, et il y a des passages que j’aimerais apprendre par cœur, tant ils raisonnent avec justesse avec mes propres ressentis.
Je vous livre quelques extraits, pour le plaisir :
« La nature ne constituait pas mon ennemie, mais ma mère. Je ne m’en distinguais pas : j’en venais, j’en dépendais et j’y reviendrai. La connaître revenait à me connaître…..
Développer mon attention à l’Univers exprimait le respect que je devais aux Dieux, l’amour que je leur portais, la gratitude que je leur adressais. L’indifférence eut été une sottise. Pire : une trahison. L’émerveillement participait de ma spiritualité. »
Une réflexion sur l’évolution de notre humanité. Tellement juste, hélas !
« Anciennement, nous subsistions grâce à la chasse, la pêche, la cueillette. Au même titre que les plantes et les bêtes, nous circulions en hôtes de la Nature, sans privilège, encombrés de sérieux handicaps -une croissance très lente, aucune qualité physique supérieure, pas de fourrure ni d’écaille . Vivants au milieu du vivant, nous restions des invités de passage.
Cette égalité se brisait.
L’homme se croyait maintenant au dessus de la Nature qu’il transformait. Il y avait désormais deux monde : le naturel et l’humain. Et le deuxième envahissait le premier sans vergogne.
Homme du lac, j’avais traversé une Nature sans barrière où matière et esprit se mêlaient. Le brin d’herbe, le noyer, le lièvre, la rivière, le rocher, le nuage, le vent étaient animés, pourvus d’intentions et de sentiments. Avec eux, je pouvais communiquer par l’observation, par la méditation, par la rêverie, par les songes, par le chant, par la danse, par les drogues, par les transes. Nul mur étanche se dressait. Or les hommes les construisaient. En vue de posséder les objets, les corps, les phénomènes, ils les vidaient de pensée et se réservaient l’intelligence. Ils conquéraient le cosmos en le rendant creux. J’avais vécu uni à la Nature ; ils m’en séparaient. L’humilité s’éclipsait, l’harmonie aussi. Mes paradis étaient perdus. »
J’ai gardé pour la fin, un passage qui m’émeut tout particulièrement :
« On juge normal le départ de nos aînés, une normalité qui ne procure ni baume ni consolation mais nous laisse au contraire l’impression que plus rien ne sera pareil.
La vie continue en se fragilisant. Notre confiance ébranlée cherche ses appuis sans les découvrir. Cette menace que nous avions constamment perçue – la perte des nôtres- cesse de garnir un avenir indéfini ; l’horrible ne vient plus. Il est advenu.
Le décès de Maman et de Barak ne se réduisait pas à la disparition de deux personnes, mais à la dissolution de davantage. Avec eux, mon passé, mon enfance, ma jeunesse, un enjouement, une insouciance étaient partis. Pire, même, j’avais perdu mes protecteurs. Certains riraient : comment une vieille dame et un colosse déchu défendaient-ils un homme fort, sain, comme moi ? En m’aimant. En m’adressant leur tendresse intacte, pure attention à ma quiétude, pur désir de mon équilibre, pure affection depuis le premier regard. Il fallait m’avoir connu petit pour détecter encore le petit en moi. Voilà, c’était fini ! Le deuil me sommait de grandir.
Quel que soit l’âge auquel on apprend la mort de ses parents, ce jour-là tue l’enfant. Devenir orphelin, c’est devenir veuf de son enfance. »
Et c’est très exactement ce que j’ai éprouvé à la mort de notre mère qui a réussi à atteindre l’âge respectable de cent ans.
Bon, à présent, attendons la suite!
Bonne lecture, Frédérique