Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 16:10

Il est des histoires qui vous vont droit au coeur et dont vous ressortez chamboulé ! Je n'aurais jamais pensé être à ce point touchée par le sort réservé au village de Brovès et à ses habitants.

Si j'ai tendance à imaginer le pire, si je n'ai aucune sympathie pour ce qui de près ou de loin à à voir avec l'autorité, sans doute suis-je née rebelle d'une mère rebelle, j'avais encore des illusions. Le Larzac est une cause qui m'a beaucoup touchée en son temps mais là on touche à l'ignominie la plus totale.

Fonctionnant Frédo et moi en parfaite symbiose, sans nous concerter nous avons eu envie de témoigner en écrivant une nouvelle dont le thème est ce village de Brovès.

Frédo a choisi de faire parler le village, je me suis attachée à l'une de ses habitantes, certes je lui ai changé le nom mais Aline a bel et bien existé tel que je le mets en scène...

Ne nous voilons pas la face nous pourrions être l'un de ces brovésiens que l'Etat, l'Armée ont broyé !

Dominique

 

A Seillans le 10 juillet 1974

Monsieur le Président de la République,

   Si je vous écris cette lettre aujourd’hui ce n’est pas avec l’espoir d’être lue, je sais fort bien que vous avez autre chose à faire et que dans le meilleur des cas ce sont vos sbires qui se chargeront de cette tâche. Mais au moins ce sera dit et peut-être se trouvera-t’il une oreille attentive pour comprendre ma détresse.

Je sais que vous n’êtes pas responsable de ce que je vis actuellement puisque vous n’êtes président que depuis le mois de Mai 1974 mais votre prédécesseur, Monsieur Pompidou n’est plus ! Ne comptez pas sur moi pour ajouter le traditionnel « Paix à son âme », ce serait pure hypocrisie de ma part !

Mais avant toute chose permettez moi de me présenter.

   Je me nomme Aline Giniel née Panisson le 3 mai 1891. Veuve de Jean Giniel depuis le 15 juillet 1916, j’ai élevé seule nos deux enfants, un garçon et une fille. Originaire du village voisin de Comps-sur-Artuby j’ai exercé pendant de longues années le métier d’institutrice à Brovès où mon défunt époux était maréchal ferrant. Mon fils a perdu la vie lors de la seconde guerre quant à ma fille, installée en ville, à Toulon, elle y a enseigné jusqu’à sa cessation d’activité. Je la vois régulièrement mais la distance qui nous sépare est un frein aux visites. Je peux dire que notre famille a donné sans compter à la France, son labeur, ses vies !

Au fil des ans Brovès est devenu mon fief, toujours heureuse de partager des moments conviviaux avec les autres habitants, leurs enfants ne sont-ils pas un peu les miens. Ils me le rendent bien d’ailleurs même aujourd’hui !

Pour nous les brovésiens, et je ne compte pas ceux qui chaque été revenaient couler des jours heureux en famille loin de la ville où la vie les avaient parachutés, notre vie a basculé le 4 août 1970 mais je ne suis plus la bonne conteuse qui ravissait mes élèves. Je saute des étapes.

   Tout a commencé en 1955 avec la création du camp militaire de Canjuers pour «  nécessités stratégiques ».

En 1963, Monsieur Pompidou, premier ministre, alors en déplacement à Toulon offre purement et simplement notre village de Brovès au camp militaire. Une enquête publique est évidemment ordonnée par arrêté mais à peine avions-nous porté nos doléances en mairie que cinq jours plus tard un avis favorable à l’installation du camp était rendu !

Malgré de multiples protestations, les expropriations n’ont pas traîné et le 4 août 1970, notre mairie a fermé. Je m’en souviens parfaitement occupant de manière bénévole, en ma qualité d’ancienne institutrice, les fonctions de secrétaire !

En 1972 notre village par décret était rayé de la carte de France.

Imaginez ce que cela vous ferait si, comme ce fut le cas pour ma fille née à Brovès et devant renouveler votre carte d’identité, vous découvriez que l’on a changé votre lieu de naissance ! Évidemment étant né Coblence en Allemagne, il y a peu de chance que cela vous arrive.

Même notre monument aux morts et le cimetière ont été déménagés ! J’ai perdu mon époux une seconde fois, je n’ai même plus la possibilité de me rendre sur sa tombe.

Lui et tous ceux tombés au « champ d’Honneur », comme cela se dit, n’ont plus droit de cité à Brovès !

Quelle honte !

Mort pour la France !

Pour quelle France ?

   Dire que pendant des années je me suis conformée aux ordres émanant de ma hiérarchie, parlant morale à mes élèves. Je repense à ces maximes que je qualifierais aujourd’hui de mensongères, de stupides… « Bien mal acquis ne profite jamais » ou encore « Plus fait douceur que violence » !

Dire que j’amenais mes petits à comprendre qu’une bonne castagne ne réglait jamais aussi bien un problème qu’une discussion calme entre belligérants !

Je me dis aujourd’hui que plutôt que subir nous aurions dû comme ceux du Larzac prendre les armes ! Que nous sommes-nous levés en 1968 pour joindre nos voix aux jeunes ! « Vous vous foutez de nous » écrivaient -ils sur les murs à Nanterre, quelle justesse !

   Mais voyez-vous monsieur le Président, le pire est à venir !

   Le 6 juin 1974, les quelques brovésiens encore sur place ont été expulsés de leurs maisons manu militari, rien d’excessif dans mes propos. Militaires, policiers étaient là pour nous « virer » de chez nous.  Mes plus proches voisins, dont la future résidence n’était pas encore terminée, se sont vu refuser le droit d’emporter leur porte d’entrée et des volets qu’ils avaient fait changer il y a quelques années. Propriété de l’armée ! Ils ne furent pas les seuls !

Quant à moi !? Je n’aurais jamais imaginé être traitée comme je le fus.

Certes je n’étais plus très vaillante mais j’arrivais encore à entretenir un carré de jardin, à m’occuper de mes poules. Je conservais avec la complicité de mes voisins une certaine autonomie et je pouvais toujours compter sur leur bienveillance. Ils leur arrivaient de m’associer à leurs déplacements en « ville », il ne se passait pas une journée sans que je reçoive une petite visite.

Sans doute n’était-ce pas important aux yeux de ceux qui se croyaient investis du droit de vie, et de mort, sur la population.

Je me suis retrouvée « placée », à l’hospice de Seillans. Placée, quel vilain mot !

Comme un objet !

J’ai dû abandonner mes poules et mon chat ! Un vieux matou de quinze ans !

Imaginez sa détresse !

Heureusement pour lui, il existe de braves gens prêts à tout, même à braver les interdits ! Les multiples panneaux d’interdictions qui ont fleuri partout n’ont pu empêcher deux jeunes du village de pénétrer dans ce périmètre interdit pour venir le récupérer après de longues heures de recherche. Aujourd’hui mon vieux « pépère » coule des jours au calme chez d’anciens voisins, l’hospice ne les acceptant pas. Il vient me rendre une petite visite à l’hospice régulièrement, mais il me manque tellement.

Nous étions un vieux couple !

   Les touristes par centaines se pressent à Oradour-sur-Glane pour prendre l’atmosphère de ce village sinistré par des faits de guerre, nous sommes un village sinistré en période de Paix pour que des hommes puissent jouer à la guerre !

Encore avons-nous évité le pire jusqu’à présent puisqu’il fut question de raser purement et simplement notre village ruiné, maintenant que nul militaire ne vient jouer à la guerre en son sein.

Mais tout ceci n'est que la partie immergée de l’iceberg.

Je ne me suis pas attardée sur le cas de la faune sauvage soumise au stress des manœuvres militaires, des tirs d’obus et de missiles. Cette région que je prenais plaisir à faire découvrir à mes élèves recèle des trésors architecturaux et archéologiques, une flore exceptionnelle. Tout ceci est aujourd’hui caché à nos yeux, alors que ces richesses auraient dues rester un bien commun, être classées au Patrimoine de l’Humanité !

Nous avons même sur le territoire de notre commune des espèces rarissimes dont une n’est connue qu’ici même ! Mais comment s’étonner du mépris avec lequel sont traités les animaux, la nature d’une manière générale puisque les humains comptent si peu !

J’espère Monsieur le Président quitter ce monde rapidement et même si l’affection de ma fille me nourrit encore, je n’ai plus de goût à vivre.

Vos prédécesseurs, mais sans doute n’êtes vous pas différents, ont tué ma foi en l’Humanité. Vous êtes en guerre contre le peuple, un sentiment de supériorité vous anime, puisse-t’il vous étouffer un jour, vous et tous ces politiques qui détruisent ce que la Vie offre de meilleur !

Ne recevez pas ma sincère considération mais croyez en mon profond dégoût pour le Monde que vous représentez !

Aline Giniel

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Hist' toiles
  • : Nous sommes deux soeurs... L'une peint, l'autre écrit. Nous avons envie de partager nos vécus, nos ressentis, nos expériences; de témoigner... Nous aimons par dessus tout la nature, notre plus grande source d'énergie... Sur ce blog, nous vous présenterons des peintures, des livres, mais aussi des photos de nos voyages, de nos randonnées, des récits... Nous tenterons enfin de vous entraîner dans la grande aventure de notre vie: notre cheminement spirituel vers l'Amour et la Lumière.
  • Contact

Recherche