2 décembre 2024
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De notre passé d'enseignantes et nous ne sommes pas seules, il nous est resté quelques particularismes langagiers principalement, mais pas que !
Nos références littéraires peuvent sembler basiques à certains mais précisons que si nous nous régalons des Trois Brigands de Tomi Ungerer ou du Sacré Père Noël de Briggs nous sommes capables d'avaler des ouvrages que beaucoup considèrent indigestes comme le Serpent Cosmique de Jérémy Narby (que je vous recommande chaudement).
Toujours est-il que nous sommes restées jeunes dans notre tête et que cette petite nouvelle est née d'un délire commun avec Frédo.
Ce que je vous présente aujourd'hui est en fait un rêve que nous aurions bien aimé concrétiser lorsque notre mère était en Maison de retraite.
En compagnie de notre fox Virgile nous y avons pratiqué des animations au pied levé, servi et partagé les goûters, donné de l'attention aux résidents.
Fifine notamment était une de nos chouchoutes mais n'a pas eu la chance du personnage de ma nouvelle l Pour toute réponse à sa fugue, sa famille et la direction l'ont basculée dans l'espace sécurisé des personnes atteintes d’Alzheimer !
En fait cette nouvelle poursuit un but, faire en sorte qu'un jour cela devienne une réalité. Ce n'est pas parce que l'on attrape un âge certain, et même un grand âge, que l'on n'a plus envie de vivre.
Notre grand-oncle Georges s'était inscrit au tir à l'arc à 95 ans, Jeannine notre mère appréciait les bains de mer ou en piscine à 96 ans sonnés !
Alors ?
Pourquoi pas !
Bonne lecture
Dominique
Y’a de la joie
Nouvelle de Dominique Longville
Il est des jours où tout s’annonce sous les meilleurs auspices, c’est le cas en ce lundi pour Bianca. Une semaine placée sous le signe de la joie.
Animatrice à l’EHPAD « les Arbousiers », elle peine généralement à mobiliser les résidents ; encore n’est-ce pas son seul problème car beaucoup cèdent devant sa joie de vivre, son bagout et surtout sa gentillesse. Elle connaît les travers de chacun et d’instinct perçoit la faille qui va lui permettre de faire sauter la carapace d’indifférence que certains se construisent pour oublier leur solitude.
Le vrai problème est le directeur de l’établissement. Un administratif pur et dur qui ne partage jamais ses idées et même si les membres du Conseil de Vie Sociale approuvent ses initiatives, Bianca peine à mettre en œuvre ses multiples projets.
Face à un homme qui parle chiffres uniquement, reste indifférent au bien-être des résidents et traite le personnel avec mépris, l’animation est le cadet de ses soucis.
Elle a pourtant réussi à imposer son point de vue quant à ce qui est devenu le fer de lance des Arbousiers en matière d’animation. Un projet qui ne coûte pas un sou à l’établissement mais lui vaut une notoriété certaine.
Si beaucoup de résidences pour personnes âgées accueillent des enfants d’âge scolaire pour des moments festifs voire de petits ateliers, aux Arbousiers rien de tel ! Les visiteurs, il serait plus juste d’ailleurs de parler de visiteuses, ont l’âge des résidents mais un peps du tonnerre !
Tout est parti d’un conseil de vie sociale au cours duquel Bianca exposait un projet d’atelier art plastique qui lui tenait à cœur. La virulente opposition du directeur avait été balayée par la détermination de l’un des membres de ce conseil. En un tour de main, l’affaire était bouclée et tous les problèmes de logistique résolus avant même d’avoir été évoqués.
C’est ainsi que depuis une petite année maintenant, au moins deux fois par mois, un groupe de septuagénaires déjantées vient prêter main forte à Bianca pour animer des ateliers créatifs.
Muguette, Yéyette, Féerique, Labelle et Quinine bousculent de leur bonne humeur le calme des Arbousiers et réjouissent Bianca.
Enseignantes en maternelle en cessation d’activité, elles se connaissent depuis de nombreuses années. D’abord par jeu puis par habitude, elles ont pris le pli de s’appeler tel que les prénommaient leurs petits élèves.
Les soirées « resto », les randonnées, le jardinage en bonne compagnie ne leur suffisant plus, elles piaffaient, cherchant comment se rendre utile.
C’est en rendant visite à une amie « enfermée » contre son gré aux Arbousiers par une famille ingrate et intéressée que Labelle a décidé de passer à l’action.
Sortir son amie d’une routine mortifère était devenu son cheval de bataille mais hors de question pour elle de ne pas inclure d’autres résidents.
Elle venait à peine de décrire la triste situation de sa vieille copine que Quinine montait sur ses grands chevaux. Telle Muriel Robin dans un de ses sketchs phare, elle se mit à énumérer tout ce qui lui passait par la tête comme possibilités d’actions.
Il s’en est fallu de peu qu’elle monte un commando pour venir enlever la malheureuse !
Elles décidèrent de se proposer pour seconder Bianca dans l’animation des ateliers d’arts plastiques ! Chacune avait gardé la nostalgie de ces moments privilégiés quand, avec les enfants, priorité était laissée à l’imagination. Restait à ressortir la documentation qu’elles avaient conservée au fil de leur carrière pour l’adapter à leur nouveau public.
Leur arrivée aux Arbousiers ne passa pas inaperçue. Pour parer à toute difficulté liée au manque de moyens, elles arrivèrent chargées comme des baudets avec tout un matériel issu de leurs réserves personnelles.
Passé un temps d’observation, un groupe d’aficionados s’est constitué et ses membres n’auraient manquer sous aucun prétexte les ateliers des premiers mercredis du mois, des ateliers qui jouaient invariablement les prolongations les mercredis suivants.
D’abord cantonnés à l’intérieur de l’établissement, le projet prenant une certaine envergure, les « maîtresses » comme les appellent les résidents eurent l’idée de dépasser le stade des « patouilles ».
La fugue de l’une des pensionnaires des Arbousiers fut le déclencheur. Fifine, une petite dame toute menue de 90 printemps, décida un beau jour de rentrer chez elle. Sa fille domiciliée en Cerdagne n’ayant pu faire la route depuis plusieurs semaines compte-tenu des conditions météorologiques hivernales, Fifine se languissait de solitude. Nantie d’une excellente motricité, elle était déjà parvenue à la porte de son ancien domicile quand le jardinier de l’EHPAD l’intercepta une demie heure après son départ. Il fallut beaucoup de persuasion au nouvel occupant du dit domicile pour obtenir le droit de ramener lui-même Fifine dans l’après-midi. La joie de la vieille dame se retrouvant dans ses murs était si touchante que le jardinier n’insista pas.
Féerique se repassait en boucle cette escapade, elle y voyait un signe du destin. Sortir les résidents, les remettre dans la vie, voilà qu’elle était leur mission.
Elles allaient tâter le terrain lors du prochain atelier et voir si la perspective de visites à caractère culturel en tentait certains. Après tout les villages des environs offrent quelques chouettes découvertes, une source d’inspiration pour des ateliers créatifs !
Le premier mercredi de Mai, elles étaient sur le pont et Bianca qui avait été mise au parfum piaffait dans les starting-blocks. Un dénommé « Prof » fut le premier à arriver, suivi de peu par celle que tout le monde surnommait « madame Grincheuse ». Pas vraiment sympa comme surnom mais au palmarès des rabats-joie, elle battait tout le monde à plate couture. Il avait été convenu que ce serait Yéyette qui prendrait la parole au désespoir de Muguette.
Yéyette avait toujours enseigné en petite section de maternelle, son langage était précis, sans phrase alambiquée, tout le contraire de Muguette qui se perdait toujours dans une foule de détails rendant ses propos difficilement compréhensibles.
Fifine fut la première à réagir, elle était partante et déjà gagnait la porte.
Madame Grincheuse, de son côté, voulait des précisions, pourquoi sortir des Arbousiers, quand, où irait-on et comment ?
Ce fut au tour de Quinine de prendre la parole. Une belle exposition était proposée au Musée transfrontalier du village voisin, des fragments de mosaïques de l’époque romaine étaient exposées, ce pourrait être leur première sortie avec en bonus un goûter à la cafétéria.
L’enthousiasme fut général.
Le premier obstacle, bien évidemment était venu du directeur, hors de question d’utiliser la petite estafette de 8 places pour sortir les « patouilleurs » !
Qu’à cela ne tienne !
Les maîtresses, immédiatement trouvèrent la parade, servir de taxi et véhiculer les résidents, tout en imaginant bien que le directeur allait trouver à y redire ! Pour le court-circuiter Labelle, qui connaissait pas mal de familles, se chargea de recueillir leur assentiment pour sortir leurs parents !
Il ne s’en trouva pas un pour refuser. Après tout que d’autres fassent ce qu’ils ne pouvaient ou voulaient pas faire n’était pas pour leur déplaire.
Bianca connut alors un grand moment de jubilation quand, comme chacun s’y attendait le « dirlo », - il avait hérité récemment du surnom -, objecta qu’il lui était impossible d’autoriser des résidents dont il avait charge à quitter l’établissement.
Elle le laissa dire puis lui présenta les documents recueillis auprès des familles. Elle buvait du petit lait lorsqu’il se contenta d’un « soit » laconique tout en la foudroyant du regard. C’est au moment de quitter le bureau qu’elle décocha sa dernière banderille lui faisant remarquer qu’aucune des personnes participant à l’atelier étant sous tutelle ou curatelle, légalement elles étaient aptes à se prendre en charge.
La bête était à terre !
Un tonnerre d’applaudissements l’accueillit lorsque qu’elle retrouva sa fine équipe dans la salle dévolue aux diverses activités, même madame « Grincheuse » se dérida, quant à « Prof » c’est avec emphase qu’il déclama une maxime de son cher Virgile.
Attrapant Bianca par les épaules, la regardant droit dans les yeux, il lâcha :
- « Audentes fortuna juvat, autrement dit la chance sourit à ceux qui osent, ma chère Bianca ! »
Le mercredi suivant un aréopage de véhicules quitta les Arbousiers pour le village voisin et ce n’est pas huit résidents qui envahirent le musée mais une petite vingtaine. Alléchés à la perspective d’une sortie inespérée, retrouver la vraie vie en avait motivé plus d’un. A partir de ce jour un regain de créativité secoua le calme des Arbousiers. Les « artistes » comme ils se nommaient entre eux faisaient feu de tout bois même en dehors de l’atelier et sans avoir recours à leur animatrice. Les familles de résidents en visite croisaient fréquemment de curieux paroissiens, paillettes dans les cheveux, joues et tabliers barbouillés, ceux-ci faisaient d’incessants allers-retours d’une chambre à l’autre.
L’atelier mensuel était devenu quasiment hebdomadaire, les maîtresses étaient aux anges et nourrissaient un nouveau projet, réaliser des mosaïques en s’inspirant de celles découvertes au musée. C’est en baguenaudant au Racou et découvrant des murets décorés que Quinine et Féerique en avaient eu l’idée. Instantanément elles échafaudèrent, comme tout enseignant qui se respecte, un projet.
Inutile de songer à agrémenter les Arbousiers de mosaïques, par contre inviter les patouilleurs à décorer leur jardin n’était pas une mauvaise idée. Elles réunirent une documentation fournie afin de présenter quelques exemples de réalisations dont celles du Racou évidemment.
Une fois l’équipe motivée, Quinine qui avec ses élèves avait décoré le sol du patio de son école leur expliqua le déroulement des opérations gardant le meilleur pour la fin !
S’ils étaient partants, Féerique et elle les invitaient à venir décorer leur jardin, un vaste espace arboré doté d’un joli cabanon et d’une tonnelle !
L’enthousiasme fut immédiat et sous la conduite de Bianca la liste du matériel à prévoir fut dressée. Restait à concevoir les motifs ! Cela supposait de la part de chacun la création de maquettes, toutes techniques graphiques étant acceptées.
Les maîtresses se déchaînaient, les remarques fusaient. Les patouilleurs restaient perplexes, ne comprenant plus grand chose à ce vocabulaire d’initié.
- Il nous faudra la « grosse murelle » tonnait Muguette
- Enfin Yéyette on n’a pas besoin de « ciseaux grimpeurs », faisait remarquer Labelle
Plus la liste s’allongeait plus le moral de Bianca chutait, où trouver les fonds pour se procurer le matériel nécessaire ?
Une nouvelle venue dans l’équipe des maîtresses, Marilélène leur objecta qu’il n’y avait rien de plus simple. Elles allaient renouer avec le bon vieux temps et aller mendier auprès d’entreprises le matériel nécessaire !
CQFD !
Aussitôt dit, aussitôt fait !
Quelques jours plus tard un debriefing se tenait au jardin où le matériel était stocké. Elles avaient de quoi rivaliser avec le Parc Güell !
Aux arbousiers, au grand dam du personnel, le va et vient d’une chambre à l’autre ne cessait plus. Cela découpait, collait, coloriait à tour de bras tant et si bien que le mercredi suivant il y avait de quoi recouvrir les murs de la salle à manger du sol au plafond de leurs créations.
- J’ai une idée, organisons une exposition de toutes ces œuvres, lança Yéyette.
- Et on proposera à chaque visiteur de voter pour celle qu’il préfère, renchérit Labelle.
- Faudra faire des catégories, patouilles, collages !
Chacune y mettait son grain de sel !
C’est alors que Prof pris la parole.
- Cela manque d’équité cette affaire, personne ne doit rester sur la touche !
- Exact, pointa Quinine.
- Établissons alors un palmarès, nous commencerons par réaliser les trois premières maquettes et petit à petit les autres trouveront leur place, concéda Féerique.
- Moi j’en verrais bien une chez moi, ajouta Marilélène.
Et le projet pris son envol.
Le jardin accueillit tout l’été les patouilleurs. Leur groupe s’était enrichi d’une originale nouvellement arrivée aux arbousiers et qui avait hérité du surnom de Tata Gligli. Une référence littéraire niveau maternelle qui devait tout aux délicieux albums de Jacques Duquennoy et à ses petits fantômes.
Des familles vinrent leur prêter main forte et le grand jour fut là !
La notoriété les avait rattrapés. L’un des fils des résidents, journaliste du « Petit Journal », impressionné par les prestations, tant des artistes que des « maîtresses » leur consacra un article bientôt relayé par l’Indépendant.
Autant dire que le directeur ne pouvait se défiler devant la pression que lui mettait les médias et pour fêter les 20 ans des Arbousiers il concéda qu’une exposition se tienne dans son établissement.
Quinine a mis la dernière touche au diaporama réalisé à partir de toutes les photos prises tout au long de leur entreprise et donne ses consignes.
- Labelle, dès que je te fais un « coin d’œil », tu files éteindre les « mumières » !
- Et moi j’ te passe la « branche » du projecteur, précise Muguette.
- J’ai pu qu’à installer les plats avec « les seringues et les baleines », pouffe Féerique.
- Dîtes les maîtresses, ça vous ferait rien de parler correctement ? s’insurge Prof.
- Et dire que c’est moi que l’on appelle madame Grincheuse !
- En tout cas, les filles, nous voilà célèbres et célébrées ! pointe Yéyette.
- Vous vous rendez compte, quarante années d’école et tout juste reconnue par l’Éducation Nationale. Une année d’animation en maison de retraite et c’est la Gloire.
A 75 ans ! Faut le faire !
- En tout cas si c’était à refaire, c’est l’animation que je choisirais, foi de Muguette !
- Ah bon ! Pourtant prof des écoles ce n’est que 24 heures par semaine et juste six mois de l’année entre les vacances et les week-ends ! Non ?
- Oh, oh Prof ! Vous avez regardé Sarkozy au JT, vous !
- Ma chère Yéyette, je ne regarde pas la télé, que des menteurs ! Mais je vais sur les réseaux sociaux. Y’a pas d’âge pour être dans le vent, pas vrai Tata Gligli ?
- Moquez-vous, j’ai choisi de rire la vie et petit à petit la vie me sourit. La preuve aujourd’hui. Elle n’est pas belle notre vie Quinine ?
- Vous parlez d’or Tata Gligli, je n’aurais pas dit mieux !