Ça y est, il pleut et qui dit pluie dit hyper activité. A défaut de sortir autant tirer profit de ces moments de confinement pour mettre à jour tout ce que j'ai remis au lendemain depuis pas mal de temps.
J'étais donc entrain de récurer le sol, à genoux sur le lino, tout en poussant la chansonnette : « un jour mon Prince viendra, un jour il me dira aaaa ! », quand une pétarade a interrompu mes vocalises.
Un motard passe lentement devant la maison, revient sur ses pas pour un second puis un troisième passage, avant de stopper à la hauteur du portail.
D'où je suis je peux voir sans être vue.
La moto est d'enfer et le motard semble avoir fier allure. Grand, plutôt charpenté, pas l'ombre d'une bedaine !
Un prince ?!
Je le regarde tomber le casque.
Une barbe de 3, 4 jours à la Clooney, des cheveux poivre et sel. Pas mal !
Il ôte ses gants dévoilant des mains aux longs doigts. Belle allure !
Sans descendre de sa moto, il cherche des yeux la boîte à lettres dévoilant progressivement son visage.
Mais ! je le connais ce type. Chevalier !
Il y a bonne vingtaine d'années que nous nous sommes perdus de vue mais il n'a pas vraiment changé. A l'époque il ne portait pas de lunettes mais cela lui va plutôt bien cette monture à la St Laurent. Séduisant !
Toujours à genoux, je me ratatine. Un des fantasmes de ma quarantaine rayonnante est à ma porte et je suis là, nus pieds, en tee shirt tir-bouchonné, les mains embaumant la lessive St Marc. De quoi vais-je avoir l'air ? Une plouc !
Je commence une savante marche arrière pour gagner la salle d'eau et me vêtir plus élégamment. Dans la salle, le chien du haut de son perchoir vient de se redresser, il gronde. Tout en me tortillant j'enfile un jean, un œil rivé sur la rue. Chevalier, descendu de la moto, s'achemine vers la porte. C'est drôle, je le voyais plus grand !
Il va sonner et je me bats avec cette fichue fermeture éclair qui bloque quand un vacarme épouvantable éclate. Hors de lui, le chien a quitté son poste d'observation pour se ruer sur le portail, flanquant à Chevalier la trouille de sa vie.
Enfin présentable, je me précipite sur mon fauve pour aller ouvrir à ce visiteur inattendu.
- « Bonjour, tu m'reconnais ? »
- « Chevalier, Philippe Chevalier ?! »
- « Pour te servir. »
- « Entre ! Pour une surprise, c'en est une ! »
Je m'efface pour le laisser me précéder dans la maison, puis portail refermé je lâche le chien qui joyeusement se précipite sur le visiteur.
La réaction de Chevalier me fait sourire, manifestement les chiens, c'est pas son truc !
Troublée, je pénètre à sa suite dans la maison.
Quelques minutes plus tard, Philippe Chevalier, a investi les lieux. Je suis sous le charme, tout semble à son goût, absolument tout, mis à part le chien évidemment !
Un jour mon prince viendra ! Il est re-venu !
Les minutes s'écoulent, fier de sa réussite, Philippe raconte, se raconte. Une petite heure plus tard, histoire de rompre le monologue qui s'est installé, je lui propose un petit quelque chose à boire, à grignoter. La proposition ayant remporté un franc succès, nous sommes en pleines agapes lorsque le téléphone sonne, j'écourte la conversation non sans avoir dévoilé à mon interlocutrice, une vieille copine, l'identité de celui qui vient de réapparaître dans ma vie …
Une quinzaine de jours a passé, je sors de la librairie lorsque déboule sur moi une silhouette dégingandée.
- « Alors, trop occupée pour me téléphoner ? »
- « Tu ne crois pas si bien dire. »
- « Allez, raconte … Chevalier ?! »
- « Chevalier ? Chevalier, pfut ! »
- « Quoi, pfut ? Il est où ? »
- « Parti ! »
- « Parti ?, tu l'as laissé partir ? Mais je croyais que c'était l'homme de ta vie ? »
- « C'était, ma vieille, c'était ! Il n'est pas parti, je l'ai fait partir !»
- « Va falloir que tu m'expliques, parce que j'aimerais bien comprendre. »
- « On se fait un petit resto ce soir et je te dirais tout ! La Botiga, ça te va ? »
La Botiga est un petit restaurant sympa, sans chichi. La carte est réduite à minima et le plat du jour sent toujours bon la cuisine de grand-mère, c'est le rendez-vous des vieux babas du coin. Arrivée la première j'étaisentrain de siroter un petit verre quand ma copine fit son entrée. Elle n'étaitpas installée que je subissaisun feu nourri de questions.
Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce qui t'a pris ?
Savourant les dernières gorgées de mon kir catalan je la laisselanterner avant de lui déballer le petit discours que j'aipréparé à son intention dans le but d'en finir et de profiter de l'ollade de José.
- « Tu veux savoir ?, c'est simple ! Déjà, j'ai pas vocation à être infirmière. Chevalier a peut-être de beaux restes mais il a mal partout ! Des vertèbres dans le désordre, les colonnes du Parthénon à côté c'est de la rigolade, un ou deux bridges en cours, une cataracte naissante et c'est pas tout ! Il est plein de tics, de tocs et moi le manies, la routine, merci !!! Ses placements, sa super GoldWing je m'en contrefiche ! Ne lui parle pas de beurre, son cholestérol fait des bonds rien qu'à la vue d'une motte. Par contre, il aime la viande, rouge en plus, là, je comprends pas trop mais c'est pas le pire ! »
- « … ! »
- « Déjà, il ronfle comme un sonneur, pique toute la place dans le lit ... »
- « Remarque c'est pas une nouveauté, y'avait aucune raison pour que cela ait changé ! non ? »
- « Oui, j'te l'accorde, mais j'aime pas qu'on me mufle dans le nez ! »
- « Et alors c'est pour cela que tu l'as largué ? »
- « Non, pas que, il manquait l'essentiel ! »
- « C'est à dire ? »
- « Les petits câlins ! Lui c'est à heure fixe et moi ce que j'aime, c'est la sieste ... »
- « Crapuleuse ! Hé hé ! »
- « Voilà ! Et là de ce côté là, tintin. La sieste, il connaît mais c'est sacré, il DORT ! »
- « Évidemment, c'est rédhibitoire. Donc exit Chevalier ! »
- « Voilà, je l'ai mis en état de choc en lui déballant tout ce que j'aimais. L'imprévu, la rusticité d'une nuit en refuge, le fromage qui pue sur une grosse tartine de beurre, les ébats aquatiques, la musique classique, le Rock et Strauss, Elton John et le Disco. Mais ce qui l'a achevé c'est quand je lui ai dit qu'en moto, je compensais dans les tournants ! Là il m'a regardé avec une condescendance méprisante et j'ai compris que je venais de regagner ma liberté ! »
- « Si je comprends bien, la routine le sécurise ? »
- « Oui, et moi, ça m'angoisse ! »
- « Conclusion, le prince charmant est encore à venir ? »
- « Non, j'ai fini d'y croire, ou alors ce sera dans une autre vie ! »
Sur ce, nous avons attaqué l'ollade de José, commandé une crème brûlée à la cardamone et décidé de finir la soirée avec un bon film … sur Papy streaming ! Et oui, j'aime pas les petits bruits au ciné ! Moi aussi, j'ai mes contradictions !
Do