Les optimistes voyaient le confinement ainsi !
Alors là je dis chapeau car je ne l'aurais pas dit mieux.
Et si je suis soulagée de voir la fin du confinement arriver, nous allons enfin pouvoir rechausser les godillots, de toute façon la plage est interdite, il y a quand même pas mal d'amertume, de peine quand on considère la façon dont ont été traités les "vieux". Au pays des droits de l'homme c'est d'autant plus révoltant !
Et dire qu'ils envisageaient de nous garder confinés ! Avant le Covid nous étions flattés, brossés dans le sens du poil, mais tout est dit ci après, aujourd'hui subitement on a la trouille ! On rêve d'un coin discret, de coloc entre "nous" ! Allez bonne lecture à vous ! Et transmettez !l'OBS du 3 mai 2020...
Le Covid leur a donné un « coup de vieux » : la révolte des septuagénaires!
Ils ont entre 70 et 80 ans et sont en pleine forme, mais le Covid-19 les a fait basculer dans le camp des « vieux ». Et ça leur fiche le blues.
Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, a lancé une pétition afin de dénoncer ce qu’il considère comme une discrimination.
La petite musique a commencé à se faire entendre dès le début de l’épidémie. « Le virus est dangereux pour les vieux », ont dit les médias. Ils ne se sont pas tout de suite sentis visés. Les vieux, ce sont les dépendants, ceux qui sont en Ehpad et cumulent les pathologies. Mais pas eux, les enfants terribles de 1968, les petits princes des Trente Glorieuses, ces septuagénaires toujours en forme et actifs dans les associations (40 % s’y investissent), la politique (65 % des maires sont des retraités), ou encore dans les professions libérales, intellectuelles et artistiques.
Pas eux, qui voyagent gaillardement à travers le monde et emplissent les salles de ciné et de théâtre. Pas eux, dont les neurones fonctionnent à plein, dont les silhouettes toujours toniques sont entretenues grâce au yoga, au vélo ou à la randonnée… Les vieux, ce sont les autres.
La veille du confinement, ils ont profité pleinement du soleil, se sont promenés sur les quais de Paris, ont investi les plages et les chemins bondés, ont trinqué entre amis. Pour beaucoup, l’épreuve ne s’annonçait pas si mal. Avec l’âge, on est parfois trop seul, mais on a aussi souvent plus de confort, d’espace et de calme qu’un jeune couple avec sa marmaille.
Mais la petite musique s’est amplifiée, reprise en chœur par leurs propres enfants. « Attention, vous êtes une population à risques », « Vous êtes fragiles », ont martelé ceux-ci. « Restez chez vous », « Ne sortez pas faire vos courses ! », ont-ils aussi grondé face à la légèreté potentielle de leurs parents.
« On a senti la bascule du pouvoir, brutalement on est devenus les enfants de nos enfants », raconte Jacques Naudin, ex-directeur de banque de 76 ans. « Le rapport de force a changé », confirme Jean-Pierre Rosenczveig. A 72 ans, l’ancien président de tribunal pour enfants de Bobigny, figure de la protection de l’enfance, enseignant respecté à l’université, expert pour l’Unicef, auteur de quatre livres en deux ans, avoue en riant être obligé de « mentir » à ses enfants pour éviter de se « faire engueuler sur mes sorties ».
Il se reconnaît quelques faiblesses, « une légère surcharge pondérale, un peu de tension, un léger diabète », mais n’en revient pas d’avoir « été infantilisé comme ça. On n’a même pas encore préparé nos héritages qu’on est déjà à l’Ehpad forcé ! ».
Pour Jean-Francois Feuillette, psychanalyste, les « seniors » gênent la génération suivante.
Jean-François Feuillette, psychanalyste de 77 ans, sourit aussi lorsqu’il raconte s’être fait « interdire » sa résidence secondaire en Bretagne. « Les enfants nous ont conseillé de rester à Paris, parce que c’était plus sûr d’être à proximité d’un grand hôpital ! ».
Comme sa femme, universitaire, travaille elle aussi, il lui laisse l’appartement en journée et traverse Paris covidé pour rejoindre son cabinet de psy. Et ce sont ses enfants et petits-enfants qui profitent de sa maison de campagne. Etrange paradoxe, que vivent plusieurs de ses amis. « Rétrospectivement, on n’est pas sûrs d’avoir fait le bon choix », dit-il.
Groupes WhatsApp et apéros Zoom
Ils ont respecté le confinement. Les plus aisés et connectés d’entre eux (85 % des 60-74 ans et 47 % des plus de 75 ans ont un accès à internet) ont eu la chance d’affronter l’isolement avec les mêmes armes que leurs enfants. Ils ont pu échanger des mèmes, des vidéos rigolotes, des infos. Ils ont maintenu le lien avec leurs proches et leurs potes via des groupes WhatsApp, des apéros Zoom et autres rendez-vous Hangouts. Ils ont débattu des bienfaits supposés de la chloroquine et de la pénurie de masques. Et ont regardé passer les chiffres avec de plus en plus d’inquiétude.
L’âge médian des personnes hospitalisées est de 69ans. Et le taux de mortalité du coronavirus chez les septuagénaires est de 8 %.
« Chacun a autour de soi un ami ou une connaissance touché gravement par le Covid-19, cela fait réfléchir, confesse la mère de l’auteure de ces lignes, une hyperactive de 74 ans. Avant, je me disais : je vieillis, certes, mais je ne suis pas “vieille”, pas encore… Dans la rue, je croisais des vieux avec une canne, le soutien d’un bras plus jeune, les petits pas mal assurés, et je me rassurais en pensant que je n’en faisais pas encore partie. Et là, avec ce virus, j’ai compris que ces vieux décrits dans les médias, c’étaient mon mari, ma fratrie, mes amis… et moi. »
Michel Jonasz : « Le problème, c’est cette croyance collective qui dit qu’on doit s’abîmer quand on vieillit » Quand Emmanuel Macron a annoncé, le 13 avril dernier, que « les personnes âgées » (sans donner de limite d’âge) devraient « rester confinées même après le 11 mai », on a pensé à nos grands-parents. On a croisé les doigts pour qu’ils aient oublié d’allumer la télé ce soir-là et qu’ils se soient offerts quelques heures de répit. On a réécouté Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, rappeler devant le Sénat que, pour lui, il fallait être vigilant « au-dessus de 65 ou 70 ans ». C’était le cas de Michèle (75 ans) ou de ce monsieur de 83 ans interviewé par C8. Et puis Emmanuel Macron, devant la polémique, s’est ravisé : « pas de discrimination », « responsabilité individuelle de chacun ». Mais au fait, c’est quoi être vieux ? En cherchant dans le paysage culturel français des septuagénaires qui ne « les faisaient pas », drôles et capables d’introspection, on est tombé sur Michel Jonasz, qui a sorti un album l’année dernière et qui devait boucler une grande tournée cet été. On lui a écrit pour lui demander s’il accepterait de parler de confinement et de joie de vivre. Il a dit oui, alors on s’est appelé un samedi matin.
Le choc a été violent. « Un coup de massue ! » confirme Viviane Baudry, 75 ans, qui a perdu son mari il y a vingt ans et vit seule dans une résidence « sympa » où les plus jeunes « gardent un œil » sur les plus âgés, où chacun cuisine des gâteaux pour l’hôpital du coin, où un groupe WhatsApp a même été créé, auquel elle participe « évidemment ».
Heureusement que Viviane a un « tempérament optimiste », car il en faut, de l’optimisme, pour surmonter ce soudain changement de camp. « Toute ma vie on m’a dit : Il faut que tu restes jeune ! Je ne prends aucun médicament, je fais de la gym, du Pilates, du stretching trois fois par semaine, je me teins les racines des cheveux… J’ai même interdit le terme vieux” à mes petits-enfants ! Et maintenant, on voudrait que je me regarde autrement ? Ça me vexe… » Et de conclure : « Depuis l’apparition du Covid-19, d’un seul coup, notre utilité sociale a été balayée. »
Au fil des semaines, la petite musique s’est faite plus angoissante. Ils ont regardé avec effroi les reportages sur les résidents d’Ehpad décimés. Ces Ehpad où certains d’entre eux ont parfois dû placer leurs parents. Ces Ehpad qu’ils aimeraient tellement éviter, dans vingt ans…
Ils ont entendu les rumeurs sur les hôpitaux. En Italie, mais aussi en France, dans les zones en tension, les soignants craignaient de devoir trier entre les malades pour l’accès à la réanimation. Mais selon quels critères ? « On entendait dire qu’il ne fallait pas avoir plus de 75 ans. Glaçant », soupire Marie-Claude Gras, âgée de… 75 ans. Elle ironise, parce qu’il vaut mieux en rire : « J’avais décidé de me laisser les cheveux blancs, mais peut-être vaudrait-il mieux les teindre à nouveau pour être sûre d’être du bon côté à l’hôpital ? »
Dans les esprits, de drôles de questions ont surgi. A partir de combien de rides est-on vieux ? Combien pèse l’existence d’un plus de 70 ans face à celle d’un « moins » ? Que vaut ma vie pour la société qui m’entoure ?
Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, a constaté qu’en deux mois ses patients ont eu l’impression de beaucoup vieillir. Geneviève Delaisi de Parseval, 79 ans, psychanalyste et membre de l’ association Vieux et chez soi, a continué ses consultations au téléphone pendant le confinement. Elle constate qu’en deux mois les septuagénaires ont eu le sentiment de beaucoup vieillir, et perçoit chez ses patients une « crainte de la stigmatisation, surtout chez les femmes. L’une a fait un cauchemar récemment : elle était dans un hôpital, on lui disait : “Madame, on est désolés, il y a un plus jeune plus intéressant que vous” ».
« Les hommes naissent et demeurent… » Le 13 avril, la petite musique est devenue carrément dissonante. Ce jour-là, le président Emmanuel Macron déclare : « Nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées » notamment, de rester confinées après le 11 mai, date du « déconfinement » officiel. Deux jours plus tard, au Sénat (10 % des sénateurs ont plus de 70 ans), Jean-François Delfraissy, le président du conseil scientifique sur le Covid-19 (71 ans), précise que la mesure concerne les personnes « au-dessus de 65 ou 70 ans ». Devant leur poste, ils se sont tous étranglés. Sur notre répondeur et notre boîte mail, les protestations ont afflué. « Ça me ferait un bien fou de vous dire comment je vis ça. J’ai 76 ans je suis en pleine activité, je suis autoentrepreneure,… et vraiment… ahhhhhh ! C’est insupportable !! » s’est exclamée Daniela Conti, visiblement très énervée.
« Je suis allé regarder la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, raconte Jacques Naudin. J’ai noté que “les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits”. J’ai bien lu “DEMEURENT” ! C’est une atteinte grave aux libertés publiques ! Je n’ai pas envie de vivre dans une dictature de la santé édictée par les médecins. »
Les plus connus ont médiatisé leur colère. L’homme d’affaires Alain Minc (71 ans) a annoncé sur les ondes une « révolte en cheveux blancs ». Le philosophe Pascal Bruckner (71 ans) a crié à l’« ehpadisation générale des plus de 65 ans ». La psychologue Marie de Hennezel (73 ans) a dénoncé un critère « injuste, discriminatoire et anticonstitutionnel », le généticien Axel Kahn (75 ans) a persiflé sur Twitter : « Et alors aussi les personnes obèses ? Grosses ? Jusqu’à quel excès de poids ? Tous les hommes, plus fragiles que les femmes ? »
Sur Facebook, l’écrivain Hervé Hamon (73 ans) a appelé « les vieux » à « prendre le maquis ».
Jean-Pierre Rosenczveig a lancé une pétition intitulée « Il est interdit d’interdire aux vieux de sortir au prétexte qu’ils sont vieux ! ». Une reprise directe d’un slogan de Mai-68 (« Défense d’interdire »). Ce n’est évidemment pas un hasard.
« Venir dire à des gens comme nous : “Vous devez obéir”, c’était la seule chose qu’il ne fallait pas faire ! tempête-t-il. Au nom de la santé publique, on brade de grands principes, notamment celui de la non-discrimination. Ça veut dire quoi, “âgé” ? C’est quoi, un vieux, sur le plan juridique ? A quel âge perd-on son discernement ? On a l’âge de ses artères, et pas celui de son identité ! Statistiquement, on meurt à 79 ans, et les femmes, à 85. Et on voudrait me confisquer six mois sur les sept ans à venir ? C’était une connerie majeure juridiquement, politiquement, sociologiquement. Intenable ! Mais comment ont-ils pu y croire ? »
Ils n’y ont pas cru longtemps. Très vite, face à la fronde, le pouvoir a rétropédalé et annoncé que les soixante-huitards seraient libérés en même temps que les autres. Mais, dans les têtes, le mal était fait. Pour beaucoup de nos interlocuteurs, cette crise révèle un malaise profond, sociétal.
« Ressortir les pavés de 1968 »
Dominique Beudin, 73 ans, dénonce « une génération qui cherche à ostraciser les vieux. Ils ont peur qu’on prenne du pouvoir. ils ne comprennent pas que les droits qu’ils ont aujourd’hui sont là grâce à nous ! ». Cette gérante de société, que le confinement a clouée au sol alors qu’elle s’apprêtait à partir à Nairobi donner une formation de gestion financière, parle même lors de notre discussion WhatsApp de « ressortir les pavés de 1968 ».
Jean-François Feuillette en a discuté avec des amis psys. « Nous gênons. Nous sommes la première génération à occuper le même espace que la génération suivante. Nous sommes actifs, et pas seulement pour garder nos petits-enfants ou visiter nos parents en Ehpad. C’est une place qui n’avait jamais existé auparavant. Et c’est ce que met en lumière cette crise. »
« Ils ont pensé pouvoir nous mettre sous cloche, analyse de son côté l’écrivain Hervé Hamon. Cette crise a mis à nu l’âgisme français. La société considère en gros que les plus de 50 ans ne sont bons à rien. Mon ami Michel Serres a dû quitter son poste à 65 ans et a été accueilli à bras ouverts à Stanford ! Je ne comprends pas qu’on mette de côté des pans entiers de vieux, considérés comme inutiles. Je suis vieux, mais je travaille huit heures par jour, je publie, je suis productif. L’âge et la dépendance sont deux choses différentes. Ma belle-mère a 93 ans, elle est anthropologue et donne encore des conférences. Mais j’ai un ami qui a eu un alzheimer à 58 ans. Tout reste à dire sur les vieux. J’espère que cette crise en sera l’occasion. »
Serge Guérin s’y attelle. En avril, le sociologue a lancé des « Etats généraux de la séniorisation » contre ce qu’il appelle un « apartheid générationnel » :
« La crise sanitaire que nous vivons est aussi une crise morale. Au-delà de cet épisode brutal de la pandémie, c’est bien la question de l’image, de la place et de la voix des personnes âgées qui est à nouveau posée. Ce sont eux qui font l’avenir : 18 millions de Français ont plus de 60 ans aujourd’hui, 6 millions, plus de 75 ans ! »
Avec le déconfinement, Jacques, Jean-Pierre, Viviane, Marie-Claude et les autres vont pouvoir progressivement récupérer un peu de leur liberté, revoir leurs proches, même de loin, et au fil des mois, espèrent-ils, retrouver un semblant de vie normale. Mais l’ombre du Covid-19 risque de planer encore un bon moment au-dessus de leurs têtes, et avec lui, cette fichue étiquette : « fragile ».
Merci à Brigitte et Thierry pour cette contribution.
J.Paul pour l'équipe du ciné-club François Truffaut
La cinquième dimension.