Quelques réflexions philosophiques de mon cru à propos d’un livre passionnant dans cet article assez difficile à classer !
En 1417, Poggio Bracciolini, éminent lettré, finit par découvrir dans un monastère allemand la copie préservé d’un livre rare. Copiste de talent et doué d’un « sixième »sens, il comprend immédiatement la portée de sa découverte.
Ce que je vous dis là et que raconte avec brio Stephen Greenblatt n’est pas de la science fiction, il s’agit d’un fait historique qui a fait rentrer l’Humanité dans sa « Renaissance ».
En 1417, donc, Poggio Bracciolini dit « Le Pogge », découvre un exemplaire miraculeusement conservé de « De rerum Natura » de Lucrèce. Écrit au Ier siècle avant JC, ce poème dont la traduction du titre latin est : De la Nature des choses, fut dès sa mise en circulation dans le « collimateur » des religieux de tout poil, si j’ose m’exprimer ainsi !
Les thèses développées par Lucrèce n’étaient pas nouvelles, elles n’étaient qu’une reprise dûment argumentée de celles d’Epicure inspiré lui-même par des philosophes grecs du Vème siècle avant JC.
A cette époque, Leucippe et son élève Démocrite émettent l’idée que tout ce qui est, sera, a été est la résultante d’un assemblage d’éléments de taille infinitésimale et en nombre infini. Ils attribuent à ces éléments un nom très actuel : atome. Atome du grec ancien [atomos] signifie : « qui ne peut être divisé » (certes nous savons maintenant que ce n’était pas tout à fait exact). Démocrite précise la pensée de son maître en estimant que ces atomes en se combinant de multiples façons créent une variété infinie de formes : tout ce qui est sur terre mais aussi dans l’Univers. Ce point de vue extrêmement novateur qui mettra des siècles à faire son chemin et à s’imposer, va susciter des remous infinis, les plus violents étant le fait du monde Chrétien.
En Grèce antique, à l’époque de Démocrite, ces propos ébranlèrent certains dans leurs certitudes mais ne suscitèrent pas les réactions violentes que connurent ensuite les philosophes qui reprirent ces idées. Pour les intellectuels grecs, seul l’échange des idées était porteur de sens, le dialogue importait plus que de vouloir convertir l’autre à ses idées. La règle dans les cénacles de lettrés était de ménager une place pour les opinions contraires en se dispensant de commérage ou de calomnie !!!
Une attitude sans doute à remettre au goût du jour !
La théorie de Leucippe et Démocrite fit donc son chemin et un émule de talent : Epicure (IVème-IIIème siècle avant JC). Il y apporta quelques précisions comme le fait qu’il n’y a pas de catégorie supérieure aux autres, tout étant issu de la même source, l’atome. Cela l’amena à affirmer que tout fait partie de l’ordre naturel et que selon lui, il n’y avait pas de manifestation divine. Ni Bien, ni Mal, pour Epicure, comprendre cela devant être l’un des plus grands plaisir de l’Homme !
La théorie d’Epicure commençant à se répandre, démontrait en termes clairs qu’il existe une explication naturelle derrière tout ce qui nous échappe ou nous inquiète ; avoir ce simple fait en tête devait permettre à l’Homme de ne plus craindre de châtiment divin. Tout étant simple et évident, la vie devait être faite de plaisir.
C’est ce dernier point qui a été retenu par ses détracteurs laissant libre cours à la cabale qui a commencé à circuler à l’encontre des idées épicuriennes.
Pourtant l’épicurisme n’avait rien à voir avec cette interprétation simpliste que nous connaissons. Pour Epicure, la part d’appétit inassouvi fait partie du plaisir. C’est d’ailleurs ce que nombre d’éducateurs et d’enseignants, de philosophes comme Michel Serres, tentent de faire passer en vantant les bienfaits de la frustration : entretenir le désir est source de plaisir ! L’un des élèves et émules d’Epicure, Philodème, écrivait « il est impossible de mener une vie plaisante qui ne soit pas prudente, belle et juste et encore courageuse, maîtresse de soi, magnanime, ouverte à l’amitié, pleine d’humanité ».
La philosophie, parfois décriée d’Epicure, voyagea néanmoins au gré des déplacements des lettrés grecs et romains jusqu’à séduire un jeune romain, Lucrèce.
Nous y voilà !
Des siècles plus tard, il reprit ces thèses les peaufinant, énonçant clairement que toute « chose » finira par se désintégrer pour libérer les atomes qui les constituaient et redonner naissance à d’autres « choses ». C’est cette théorie que reprit bien des siècles plus tard Lavoisier en énonçant : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! ».
A l’époque de Lucrèce, une théorie donnant à penser que les êtres humains n’avaient aucune raison de se laisser empoisonner par des croyances qui les asservissaient, les empereurs étaient des Dieux !, ne pouvait passer sans grincements de dents.
De Rerum Natura circulait pourtant dans les cercles intellectuels romains. Les idées ont donc franchi les siècles jusqu’à incommoder la chrétienté.
La répression se fit plus dure, l’enjeu devenait tout autre car politique !
Aucun manuscrit du monde antique n’a subsisté, il nous reste quelques copies manuscrites pour les plus anciens spécimens, puis, après Gutenberg, un certain nombre d’ouvrages imprimés ayant échappé au grand nettoyage de l’Inquisition.
A ce propos, je suppose que peu d’entre nous savent que si l’Inquisition a changé de nom au fil des siècles, ce n’est que depuis 1965 que la structure et les méthodes de l’Inquisition ont été abandonnées. En 1908, Pie X l’avait Rebaptisée Congrégation du Saint Office et c’est sous la houlette de Paul VI qu’elle devint Congrégation pour la doctrine de la Foi, ce qu’elle est toujours !
Au IVème siècle de notre ère, sous l’impulsion des empereurs Constantin puis Théodose, le christianisme devient religion officielle de Rome. A Alexandrie, alors que depuis des siècles 3 communautés vivaient en harmonie, chrétiens, juifs et païens, le chef spirituel de la communauté chrétienne s’employa à monter les chrétiens contre le reste de la population. Tous les emblèmes de la culture millénaire grecque et romaine, furent ravagés. C’est à cette époque que se situent les premiers cas de persécutions contre les philosophes qui avaient fait leurs les idées de Lucrèce.
L’obscurantisme était à l’œuvre ; sa première victime fut une femme, Hypathie.
Philosophe, mathématicienne, artiste, astronome, opposée aux actes discriminatoires dont était victime la communauté juive, Hypathie fut la première sorcière (au sens où l’entendait l’Inquisition) qui déchaîna la haine du monde chrétien contre ceux qui refusaient de se plier à ses dictats. Lapidée, brûlée, son tortionnaire, Cyrille, fut canonisé !
Le martyre d’Hypathie signe la fin de la plus grande bibliothèque du monde antique, celle d’Alexandrie, mais aussi d’un mode de vie. La preuve que la culture, même si elle est inégalement partagée, est un élément clé de la cohésion sociale. Je vous livre ces paroles prononcées au IVème siècle, toujours d’actualité (malheureusement) : « A la place d’un philosophe, c’est un chanteur qu’on fait venir, au lieu d’un orateur, c’est un maître ès arts scéniques ; les bibliothèques, à la manière des sépulcres, sont closes pour toujours… ».
A cette époque, le sort des œuvres des auteurs classiques était scellé ; les invasions barbares, le souci de préserver la foi Chrétienne de toute atteinte mais aussi le poids politique de plus en plus fort des « chefs spirituels de la Chrétienté » ont mis un frein à la liberté de penser.
10 siècles plus tard, ce sont les humanistes florentins qui seront les premiers à réagir contre le poids que l’Eglise romaine faisait peser sur la libre pensée. Les écrits satyriques dénonçant les écarts des prélats, les arrangements pris avec la morale, commencèrent à circuler : « qui a-t-il de plus étranger à la religion que la Curie ? ».
Tous ces écrits annonçaient Luther et son « hérésie » et lorsqu’au XVIème siècle la hiérarchie catholique essaiera de faire obstacle à la Réforme protestante, nombreux étaient ceux qui avaient succombé pour avoir oser défendre des idées qu’ils croyaient juste et directement inspirées de Lucrèce et des « atomistes » grecs.
Car si les manuscrits antiques originaux ont tous disparu, dans le calme des monastères un peu partout en Europe, des moines ont recopié pendant des siècles des textes auxquels ils ne comprenaient (souvent) pas grand-chose, permettant ainsi à des férus de littérature antique de faire revivre les idées des philosophes grecs et romains.
Et c’est là que nous revenons au héros de notre livre, le « Pogge » ! Nous lui devons cette renaissance et ce courant de pensée actuel qui est ni plus ni moins que la synthèse des idées de Leucippe, premier atomiste, et du Christ !
Tout ce qui est dans l’Univers et l’Univers lui-même est issu de la même source mais comme il a bien fallu aux origines de cette source qu’une étincelle divine mette le « feu aux poudres », nous sommes tous un avec Dieu !
Depuis cette redécouverte de l’atome et de ses implications, le monde « moderne » a petit à petit évolué. De grands hommes ont payé de leur vie, comme Giordano Bruno ou Galilée (« Et pourtant elle tourne !!! »)
http://education.francetv.fr/videos/galilee-ou-la-fin-du-geocentrisme-v103607
Le bûcher des vanités de Savonarole, les philosophes assassinés pour hérésie, les actes militants des jésuites qui s’employèrent à museler ceux qui continuaient à croire en la théorie des atomes n’ont pu cependant empêcher les idées de Lucrèce d’atteindre leur but.
Des choses de la nature » a fait partie de la liste des livres interdits par l’Eglise, liste abolie en 1966 !!! mais de brillants esprits ont réussi le tour de force d’instiller dans les idées de Lucrèce un soupçon de « divinité » !
Erasme, Raphaël, l’anglais Thomas More dès le XVIème siècle tentèrent de faire le lien entre la pensée d’Epicure (donc de Lucrèce) et les paroles du Christ.
Des oeuvres aussi variées que le roman intitulé « L’Utopie » ou la fresque « L’école d’Athènes » au Vatican témoignent de ces démarches et malgré la violence de la répression menée par l’Inquisition pour qui « la seule chose nécessaire au philosophe, pour connaître la vérité … est de s’opposer à ce qui est contraire à la Foi … » rien n’empêcha Newton d’affirmer que concilier atomiste et foi chrétienne était possible.
Do