Mémé
de Philippe Torreton
aux éditions L’iconoclaste
C’est un tout petit livre, farci d’amour et d’humour.
Dans une langue à la fois simple et poétique, Philippe Torreton nous dresse le portrait d’un des piliers de son enfance, sa grand-mère.
Sa « Mémé ».
Ce livre plongera dans l’émotion toute personne qui, immanquablement, y reconnaîtra une mère, une grand-mère, une tante… quelqu’un de très proche en tous les cas. « Mémé », c’est l’enfance qui ressurgit à chaque page, sous l’œil vigilant, attentif, énergique et rassurant d’une « sacrée bonne-femme », endurcie par une vie sans indulgence, une vie de sacrifice à sa terre et à sa famille.
Si j’apprécie l’acteur, je ne connaissais pas l’écrivain, Philippe Torreton. Une belle découverte, donc ; j’aime ses mots, ses expressions imagées ou cocasses qui évoquent si bien la vie toute simple de sa « Mémé », transpirent l’amour et l’admiration qu’il a pour elle. Et je peux vous dire que s’il m’est souvent arrivé de sourire en lisant ces lignes, les dernières m’ont franchement noué les tripes.
A dédier à toutes les Mémés (Mamie, Grand-mère, Grand-maman, Mutti, Mamina, O’ma, etc…) de la création, dont on oublie un peu trop facilement à la fin de leur vie tout ce qu’on leur doit ! Fredo
UN AMOUR IMPOSSIBLE
Christine ANGOT
(Paris, Flammarion 2015)
Dans ce roman (bien construit) on peut distinguer plusieurs parties (plusieurs amours), comme dans une boucle de vie. Châteauroux fin des années 50, Pierre intellectuel bourgeois et Rachel Schwartz jolie jeune fille juive issue d’un milieu populaire travaillant à la Sécurité Sociale vivent un amour fou. Il veut un enfant d’elle mais par contre il ne l’épousera jamais. Rachel accepte ce marché de dupes. Après la naissance de Christine débute une seconde partie où mère et fille vivent, modestement certes mais, dans une relation remplie d’amour et de tendresse. Le père (marié et père de famille) se manifeste épisodiquement. Puis vient l’adolescence et bientôt le père accepte de reconnaître Christine (jusqu’ici « née de père inconnu », Christine Schwartz devient Christine Angot). Père et fille se voient régulièrement. Christine découvre un autre milieu social, intellectuel. Quand elle rentre d’un week-end chez son père elle semble lointaine, inaccessible, la relation mère-fille devient difficile malgré la tendresse toujours présente. Rachel se méprend sur le comportement de Christine, se sent à nouveau rejetée, inférieure. Jusqu’au jour ou un ami de la famille lance une bombe et révèle la vérité à Rachel (cette vérité, le lecteur la connaît déjà, elle a fait l’objet de deux précédents livres de Christine Angot, « l’inceste » et « deux semaines de vacances » que, personnellement je n’avais pas lu). Vient enfin la dernière partie, la plus bouleversante, celle de l’explication entre mère et fille. Il est très difficile de faire passer dans un résumé la force de frappe de ce livre. Christine Angot réussi à nous émouvoir au plus profond avec une écriture belle simple et minimaliste. Ce livre - à ne pas rater - vous poursuivra longtemps.
Mi
BEREZINA Sylvain TESSON
(Ed. Guérin, 2015) Octobre 2012
Deux cents ans exactement après la défaite de Napoléon aux portes de Moscou et la tragique retraite de la grande armée, Sylvain Tesson et ses amis le géographe Cédric Gras et le photographe Thomas Goisque, tous fondus de Russie et d’aventure se lancent un défi : refaire le voyage de retour dans un side-car soviétique des années 30 accompagnés de Vassili et Vitaly deux compères russes.
Quatre mille kms, 12 jours de folie en plein hiver russe, un récit où Histoire et voyage de nos cinq larrons sont habilement mélangés, rendant ce livre passionnant, haletant. Ajouter à cela un humour décapant mais aussi une grande élégance dans les pages relatant les terribles conditions de vie (et de mort) des soldats de 1812, vibrantes d’humanité.
Oh bien sûr les pisse vinaigre pourront toujours critiquer des imprécisions historiques, le goût exacerbé pour la vodka de Tesson et de ses potes, l’admiration pour Napoléon, les considérations sur la médiocrité de notre époque, etc … mais au bout du compte il reste (pour moi) un grand plaisir de lecture comme il en est rarement donné et n’est-ce pas cela le plus important ?
Mi
Cela fait des jours, plusieurs semaines déjà, qu’elle revit en boucle ce jour tragique où elle a dû prendre la décision la plus difficile de sa vie, celle de se séparer définitivement de son petit compagnon.
Brusquement, son état s’était dégradé. Oh, il faisait de son mieux pour donner le change, lui témoigner encore sa volonté de vivre, son amour inconditionnel, mais elle voyait bien que c’était la fin, qu’il n’en pouvait plus et que l’inéluctable était à l’œuvre. Simplement, comme toujours, il ne voulait pas l’inquiéter, lui faire de peine, il « assurait » pour lui faire plaisir. Quel courage !
Alors qu’elle déjeunait sans appétit, tourmentée par sa faiblesse et encore indécise, vacillant sur ses pattes, titubant, il était venu quémander une ou deux miettes de pain, avant de s’affaisser, à bout. Le moment était-il venu ? Pouvait-elle vraiment faire ça, « lui » faire ça, le trahir de la pire façon, en décidant arbitrairement que c’en était assez. Etait-ce son souhait, à lui ? Voulait-il en finir ? Comment savoir ?
La vétérinaire avait été parfaite, douce, compréhensive. « Vous savez, les animaux ont cette chance, eux ; on peut les aider à partir » avait-elle murmuré en lui adressant un regard rassurant et bienveillant. Une façon de valider sa décision, de lui signifier qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Elle avait accepté d’intervenir dans la voiture, garée à l’ombre d’un petit olivier dont l’ombre providentielle atténuait les ardeurs du soleil de juin. C’était mieux que dans cette clinique froide et impersonnelle qu’il détestait tant, où il avait toujours eu si peur. Cette voiture était sa deuxième maison. Toujours prêt à grimper à bord pour partir à l’aventure !
Il n’avait pas eu l’ombre d’une crainte ; il n’avait pas bronché. En quelques secondes, tout était fini ; il était parti très vite. Avait-il réalisé ce qui se passait ? Etait-il soulagé ? S’était-il senti trahi ? Avait-il compris qu’elle avait accompli à son égard l’acte d’amour le plus éprouvant qui soit ?
Un dernier baiser sur la truffe, une dernière caresse sur son corps apaisé, et il avait été emporté loin d’elle. Huit jours plus tard, elle avait récupéré ses cendres.
C’est désormais tout ce qui reste de son existence terrestre, de ces douze années de bonheur et d’émerveillement partagés. Une parenthèse magique s’est refermée. En dépit des photographies, d’une multitude de souvenirs précis, drôles, émouvants, et même, exceptionnellement, terrifiants, elle a parfois l’impression d’avoir rêvé cette belle aventure, ce cadeau du ciel, splendide et éphémère, comme la vie.
Irréel, et non moins douloureux. Cruel.
Elle a beau tenter de se consoler en se disant qu’il ne souffre plus, que son âme est libérée, le vide est immense. Jamais elle n’aurait pensé souffrir autant. Le manque est permanent. Elle s’attend à le voir partout. Or il n’est plus nulle part.
Elle ne s’habitue pas.
Seuls ceux qui sont déjà passés par là peuvent comprendre. Ceux qui ont vécu avec un chien ou tout autre animal une relation forte, portée par un amour réciproque, authentique, et désintéressé ; et qui plus est, une relation égalitaire car jamais elle ne l’a considéré comme son inférieur. Il avait besoin d’elle ; elle était responsable de son bien-être. Et elle avait autant de respect pour lui que pour n’importe quel être vivant, humain ou non.
Elle qui a déjà vécu la douleur d’une séparation définitive, découvre qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la mort quand on aime. Elle souffre.
Elle est en deuil.
Un deuil souvent mésestimé.
Elle entend parfois des stupidités : « Ah, te voilà libre, maintenant ! Tu vas pouvoir voyager ! ». Oui, c’est vrai, depuis qu’il était entré dans sa vie, elle avait renoncé à prendre l’avion et à tous les endroits interdits aux chiens, de plus en plus nombreux. Pas question de le confier à un chenil pour voyager sans lui, ne serait-ce qu’une seule journée. Elle avait accepté ces contraintes sans regret. Ce n’était pas un sacrifice. Elle l’aimait, c’était normal. De toute façon, elle n’avait personne pour le garder. Elle avait donc décidé qu’il irait partout où elle irait ; et s’il ne pouvait pas y aller, elle n’irait pas ! Simple comme bonjour. Stupide pour certains, mais elle n’en avait que faire.
Elle s’était bien sûr autorisée occasionnellement des sorties de quelques heures sans lui ; mais l’un dans l’autre, elle s’en était tenue à sa décision. Il l’avait accompagnée (presque) partout, dans toutes ses passions : en voyage, en randonnée, à la mer, à la neige, en vélo, en bateau, en pédalo, en télésiège, en téléphérique. Ils étaient indissociables. Il était de toutes les fêtes, de toutes les réjouissances et elle avait tiré un trait sur ceux qui ne voulaient pas de lui. Mais ce n’était arrivé qu’une seule fois, Dieu merci !
Autour d’elle, il y a ceux qui ne parlent plus jamais de lui, comme s’il n’avait jamais existé. Par tact ? Par gêne ? Ont-ils peur de lui faire du mal ? S’ils savaient comme elle a besoin de parler de lui ! Reconnaître sa douleur est la meilleure façon de l’aider à l’exprimer. Mais ils évitent soigneusement le sujet. Certains remarquent son absence, disent que « ça fait bizarre ». Elle acquiesce en soupirant, une boule douloureuse dans la gorge. Pourtant, elle préfère ça au silence. C’est comme s’ils prenaient à leur compte un peu de sa peine. Elle en est pleine de gratitude.
D’autres veulent savoir si elle va le « remplacer ». Comme une vieille casserole, un gilet troué ou une chaise cassée. Le remplacer. Tout a fait significatif de cette société ultra matérialiste qui n’accorde aux animaux guère plus d’importance qu’aux meubles. Non, pour elle, un chien, un animal, ne se remplace pas ; au mieux, on lui trouve un successeur. Mais pour sa part, elle ne cherchera même pas. Elle ne veut pas.
Elle ne veut pas un chien ; elle veut son chien ! Elle veut celui qui saluait chacun de ses retours en se trémoussant de joie et en haletant de soulagement, la couvrant de lichettes désordonnées, lui mordillant amoureusement les poignets, et enfouissant son museau sous son bras pour accueillir ses caresses… Celui qui se livrait sans retenue à des simulacres de combat, facétieux, joyeux, espiègle et vaillant. Mais aussi « bêtiseux », voleur et râleur invétéré ! Un vrai mousquetaire : bon cœur et mauvais caractère. Celui qui manifestait sa joie en se contorsionnant les quatre fers en l’air, dans l’herbe, le sable, sur le lit ou sur le canapé. Mal élevé ? Peut-être ; on s’en fiche !
C’est lui qui lui manque et qu’elle veut. Pas un autre ! Même si elle sait qu’elle saurait l’aimer ; elle n’en veut pas. C’est tout.
Une chose est sûre : elle a fini d’avoir peur. Peur d’avoir un accident, de ne plus être en mesure de s’en occuper et de le voir finir ses jours dans un chenil. Peur qu’il se perde, qu’il soit volé, attaqué par un autre chien ou qu’on lui fasse du mal gratuitement ; il y a encore tant de barbarie dans le monde vis-à-vis des plus faibles. Il y avait en elle un souci permanent de le protéger. Au moins aujourd’hui, la voilà soulagée : il ne risque plus rien.
Et ce n’est pas tout : fini aussi de se battre contre les vaccinations néfastes et inutiles, tous ces poisons administrés à titre de « protection »… Un marché comme un autre, en fait, comme celui de la nourriture industrielle, croquettes, boîtes, et compagnie. Non, plus question de repasser par là.
Reste à gérer l’absence, le manque physique ; et tout le problème est là. Ne plus pouvoir le voir, le toucher, le caresser, le sentir… Ses sens sont en manque de lui.
Pourtant, elle sait qu’il est là et que son âme l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle, se moquant désormais de tous les interdits, de toutes les discriminations.
Il est partout où la vie palpite, gambadant librement dans les prairies fleuries, se roulant avec délice dans les bouses de vache odorantes, pataugeant dans les torrents bavards, ou escaladant les rochers escarpés.
Il est en elle, autour d’elle ; il est l’oiseau qui vocalise, le papillon qui voltige et le cheval qui détale au galop. Il est partout.
Elle n’oubliera jamais. Un jour, elle souffrira moins, sans doute.
Peut-être.
La page est tournée.
Mais quel beau livre ils ont écrit ensemble !
Fredo
(et merci à Jean Luc pour l'idée du titre, et à Andrée pour avoir été à nos côtés... )