Premier tableau
Midi n'a pas encore sonné que deux silhouettes féminines, bras dessus, bras dessous, pénètrent dans le champ du Père Florent un Bourguignon pur jus.
Equipées chacune d’un panier, armées de la grande échelle de bois, elles sont prêtes pour la cueillette de l’année !
Deuxième tableau
- Ouhaou ! Quelle chute !
- Bin dit donc, ça nous apprendra à jouer les tarzans !
- Les tarzans en jupons !
Se relevant péniblement, elles entreprennent de s’épousseter mutuellement tout en s’arrêtant de temps à autre pour regarder autour d’elles.
- J’y crois pas, j’ai mal nulle part.
- Moi non plus, pourtant j’ai bien cru que j’allais m’écrabouiller au milieu des cerises !
- J’ai comme l’impression qu’on va se faire remonter les bretelles.
- Faut dire que c’est pas faute d’avoir été prévenues !
- Oui, bon ! C’est pas un crime que de vouloir monter aux arbres !
Bras dessus, bras dessous, elles commencent à remonter la pente pour gagner le haut du verger.
- J’suis sûre que demain je serais cassée mais pour l’instant j’me sens vachement légère !
- J’ai même pas un bleu, c’est fou !
- Ça va venir !
- C’est pas dit, j’me sens rajeunir !
- J’suis tellement contente que tout me paraît beau.
- Oui, c’est vrai, j’avais encore jamais autant apprécié ce coin !
Gaillardement elles atteignent le pied d’un petit tertre tout baigné de lumière et se laissent glisser au sol.
- Ouf ! Quelle paix !
- Oh ! Tu as vu, c’est Paul là-bas !
- Ça alors depuis le temps qu’on ne l’avait pas vu !
- Pau-aul !
Un grand gaillard, tout de blanc vêtu, arrive en effet droit sur elles. La marche souple, le port altier, c’est ce que l’on appelle un beau gars. Il s’arrête net, perplexe en regardant les deux silhouettes féminines.
- Sybille ? Marianne ? Qu’est-ce que vous faites là ?
- Dis, c’est plutôt à toi qu’il faudrait le demander. C’est simple, y’a tellement longtemps qu’on t’a pas vu, pour un peu on t’aurait oublié !
- Ça fait plaisir ! Enfin vaut mieux entendre ça que d’être sourd.
Se laissant choir sur l’herbe, la discussion se poursuit … ça jacasse, papote sec … et ça rit !
- Tu t’rappelles quand on se cachait dans les ateliers …
- Et qu’on s’amusait à faire peur à la vieille Charlotte …
- Et en rollers, quand on faisait la « compète » ?
- Dis donc Paul, c’est quoi cette agitation là-bas ?
- Allons voir !
Avec un bel ensemble ils se tournent vers le sommet du tertre. A l’évidence une fête se tient, tout est brillamment éclairé. Elégants, hommes et femmes arborent un air joyeux quand soudain une silhouette nimbée de lumière se détache de l’assemblée, interpelant Sybille.
- Ohé ! Lilette !
- Ça alors, Tante Julia !
- Il y a même ma grand-mère, tu parles d’une surprise !
Paul et les filles n’ont plus qu’une idée en tête, se joindre à la fête, tout à la joie de retrouver des personnes quelque peu perdues de vue.
Et le temps passe, sans vraiment qu’ils s’en rendent compte ni même qu’ils s’en soucient, c’est si bon de se laisser aller en si plaisante et douce compagnie.
Les minutes ressemblent à des heures et tout contents de ces retrouvailles, c’est à peine s’ils entendent une voix douce mais ferme les rappeler à la réalité.
Se rendent-ils compte qu’il est temps pour eux de passer aux choses sérieuses ?
Se levant, ils font quelque pas vers leur interlocuteur pour entamer avec lui une discussion qui immédiatement les passionne.
Sybille et Marianne sont vite rassurées, elles n’auront à supporter aucun commentaire sur leur accident. Les échanges verbaux, chaleureux, tout en étant sérieux, n’ont rien de pontifiant et leur ouvrent des perspectives d’avenir.
Riches de ce moment, ils se remettent en route avec un bel ensemble.
Sont-ce ces retrouvailles qui les rendent si loquaces ou la conversation qu’ils viennent d’avoir qui les a requinqués ?
Toujours est-il que la discussion reste animée entre eux !
- J’ai toujours été jaloux de votre amitié, les filles. On aurait dit deux sœurs. Toujours contre moi, en plus !
- Reconnais que tu étais quand même un peu casse-pieds.
- Ton dernier coup, par exemple, un peu dur à avaler, non ?
- Bon, je m’excuse, ça va comme ça ?
- On va se concerter et on te tient au courant, d’ac !
- Et, si on disait que pour une prochaine vie, on serait frangins ?
- Non, mais t’es fou !
- Cousins, à la rigueur !
- Et vous ?
Tenant Marianne par la taille d’un air provoquant, Sybille assène à Paul :
- Nous, on sera jumelles, hein ?
- Ouais, et on fera le poids, cette fois, face à toi !
Ecœuré, Paul les regarde se mettre en route. Au moment où elles vont sortir de son champ visuel, se ravisant il lance :
- Attendez-moi !
Les filles ralentissent l’allure le temps pour lui de les rejoindre.
Le trio vient juste de se reconstituer qu’un petit groupe très animé les rattrape.
- Bon, nous ça y est, on a fait le tour de la question, on s’est décidé, tout est au point. Vous venez avec nous ?
- Oui, enfin ça dépend !
- Ça dépend de quoi ?
- Vous partez tout de suite ! tout de suite ?
- Nous oui, mais vous avez encore 5 minutes, on file devant !
- Bon, pour nous c’est d’accord, on peaufine notre plan et on vous suit. Et toi Paul ?
- J’sais pas, faut voir !
- Tu vois que t’es un empêcheur de tourner en rond !
- Tchao !
- A toute, peut-être !
Paul, persuadé que les filles bluffent, les regarde s’éloigner ; quand il réalise qu’elles n’ont pas du tout l’intention de l’attendre et qu’elles ont disparu à l’horizon, la peur lui noue les tripes :
- Attendez-moi !
Troisième tableau
A peu près au même moment, à la maternité de Santa Coloma de Barcelone, dans la salle de travail, un bébé se fait désirer. Les contractions de plus en plus rapprochées annonçent une délivrance imminente et pourtant !
La sage femme et l’obstétricien se relayent à tour de rôle surveillant le monitoring.
- Je ne comprends pas, il y a un problème, demandez si le bloc trois est libre, Sarah !
- Le trois ? Pas la peine de demander, j’en suis sûre.
- On transfère à la minute, dans ce cas.
Quelques heures plus tard, la jeune maman dort d’un sommeil réparateur, tout comme une autre patiente à l’autre bout de la clinique. Leurs nourrissons, trois pour deux mamans, viennent d’être transférés pour la nuit dans la nursery.
Une des puéricultrices regarde d’un œil perplexe ces trois poupons qui piaillent comme des moineaux.
- Voilà trois cousins d’un coup, pas mal, non ?
- Oui mais je ne sais pas si les parents apprécieront la cohabitation. Les Montaigu et les Capulet sont des enfants de cœur à côté d’eux !
- Peut-être qu’ils sont venus pour rabibocher tout le monde ?
- Ils vont avoir du pain sur la planche ces gamins, dans ce cas !
- Remarque, c’est peut-être pour cela que nous avons des jumelles qui n’étaient pas prévues ! Tu te rends compte que pour elles, c’est la surprise totale ?
- Ne rien voir à l’échographie. Je n’aurais jamais cru cela possible !
- Le « mino », lui, s’est fait attendre ! Elle a dégusté sa mère !
- J’ai dans l’idée qu’il avait une idée du travail qui l’attend !
- Bon, et bien « Haut les cœurs », les gamins !
- Tous nos vœux !
Do