20 novembre 2024
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Voici une petite nouvelle qui n'est pas autobiographique mais inspirée de certaines de mes peurs d'enfant et des regards posés sur une branche familiale très conformiste et "pieuse".
Les expériences d'ami(e)s ou simples relations, les situations familiales d'enfants qui m'ont été confiés, mes découvertes dans le domaine du développement dit personnel et mes propres progrès en matière de libération, ont nourries mes réflexions.
Une virée en Provence suivie d'un séjour récent en Normandie, je ne suis pas "fan" du tout, m'ont permis de trouver un cadre à cette nouvelle.
Merci de vos éventuels retours.
Dominique
Adieu à jamais
J’ai enfin repris la route et les mille kilomètres qui m’attendent me réjouissent.
Rien d’obligé, je peux décider de l’itinéraire, choisir de m’arrêter si cela me chante. Je suis libre !
Mon cœur, seul, imposera sa loi.
Cette petite semaine, une éternité, est derrière nous, Julot, mon labrit, ayant été du voyage.
Pas de surprise pour ce parcours obligé auquel je ne pouvais échapper pour en finir une bonne fois avec certaines relations familiales.
Depuis l’enfance je suis le vilain petit canard de la branche paternelle de la famille.
J’ai tout faux. Je suis l’importune, celle que l’on n’attendait pas mais que « le qu’en dira-t-on » leur a mis dans les pattes. Je ne leur demandais rien, ni mes parents d’ailleurs.
J’ai eu une enfance de rêve, petite dernière après trois garçons, j’ai été badée par mes frères. J’avais tous les droits et mes parents peinaient à se faire entendre. Nous vivions en pleine nature non loin du charmant village de Bédouin, au pied du Ventoux. Mon père garde-forestier passait le plus clair de son temps à arpenter ses flans quant à ma mère, pianiste de renom elle était toujours entre deux avions, confiant sa progéniture à sa mère.
Cette dernière avait deux « dadas », la cuisine et notre suivi scolaire. Rapporter de bonnes notes et faire honneur à ses repas assurait notre tranquillité. Je pris très jeune l’habitude de suivre mes frères et bien vite la nature environnante n’eut plus de secrets pour moi. J’expédiais le repas avec des yeux gourmands, histoire de mettre Grand-Mère de mon côté et les devoirs faits, je partais roder sitôt mon « piano » travaillé.
Petit à petit mes frères prirent leur envol et je me retrouvais pour mon entrée en sixième complètement libre. J’étais aux anges jusqu’à ce soir funeste où rentrant du collège je trouvais la maison vide. Inutile d’envisager une quelconque balade, le temps était au Mistral et le jour déclinait. Passionnée d’histoire, je me plongeais dans « les contes et légendes de l’Égypte ancienne » récupéré à la bibliothèque du village. Une faim de loup m’arracha finalement à ma lecture. Je dégringolais l’escalier et me ruais dans la cuisine, étonnée de ne pas avoir été appelée. Personne !
J’appelais.
Silence.
Ne sachant que faire, je tournais en rond, songeant à sortir pour vérifier si notre voiture était dans la jardin. A peine avais-je ouvert la porte qu’Igor, notre chien, se faufilait à mes côtés me faisant une fête de tous les diables. Des effusions accueillies avec soulagement, je n’étais plus seule.
Nous avons partagé un pique-nique improvisé puis une peur incontrôlable m’a noué les tripes.
A cet instant précis, le téléphone a sonné, une erreur de numéro mais cela m’a donné l’idée d’appeler mes frères car où joindre notre père ?!
Le premier appel fut le bon. Je venais à peine de terminer mon récit que l’aîné s’emparait de la situation. Rester dans la maison jusqu’à son arrivée qui ne tarderait guère et m’y enfermer, telles étaient les consignes. Igor vautré sur mes genoux je tentais de me replonger dans mon livre, mais une question me taraudait, où était passée Grand-mère ?
Dès l’arrivée d’Alex le cours des choses s’accéléra. Après un certain nombre de coups de fil nous apprîmes que Grand-Mère avait eu un accident. Ses jours n’étaient pas en danger mais elle allait rester hospitalisée sans doute plusieurs semaines. De mon père, aucune nouvelle, mais il était coutumier du fait. Quant à ma mère en concert à Vienne, inutile de tenter de la joindre.
Demain étant un autre jour, rassurés sur le sort de Grand-mère, la soirée se termina joyeusement après plusieurs parties de crapette !
Lorsque je repense aux semaines qui suivirent je ne peux m’empêcher de songer à cette colère qui m’habitait en permanence. Notre père, réapparu le lendemain complètement insouciant, n’avait rien trouvé de mieux que de me confier aux parents de ma meilleure copine jusqu’aux vacances scolaires avant de m’expédier tout l’été dans sa famille en Normandie. Finies les balades dans les lavandes, adieu Igor. Une brève visite à Grand-mère n’avait pas réussi à me rassurer. Ma mère, de son côté, enchaînait les tournées sans se démonter.
En septembre Nicolas le plus jeune de mes frères, CAP de pâtissier en poche, avait trouvé à se faire embaucher sur Flassan. Les quelques kilomètres séparant les deux villages étaient vite avalés, mais mes parents n’ayant rien changé à leurs habitudes de vie, de retour dans le sud je me retrouvais à la charge de mon frère. Ce dernier faisait de son mieux pour concilier vie privée, travail et s’occuper de moi. Lorsqu’aux congés de Noël la mère de mon père, Manette, débarqua chez nous de sa Normandie, je sentis le vent virer à l’aigre. Tout était critiqué, rien ne trouvait grâce à ses yeux. Mon refus de l’accompagner à la messe de Minuit finit de la convaincre qu’elle devait réagir.
Un conseil de famille fut réuni et mes parents finirent par consentir à me laisser partir vers un nouvelle vie que l’on s’évertua à me présenter meilleure pour ma sécurité !
J’intégrais le collège Notre Dame à Lisieux, sans avoir revu Grand-mère, laissant Igor aux bons soins de mon frère.
Le temps a passé, lentement.
Je hais la Normandie.
Je ne comprenais pas comment mes parents avaient pu céder si facilement à cette famille qui ne manqua jamais une occasion de me rabaisser. Bonne élève, j’avais vite compris que rapporter de bonnes notes était une façon d’obtenir une paix relative, j’essuyais de constantes critiques. Mon accent que je cultivais, mes goûts culinaires, ma passion pour les animaux, mon inculture religieuse, je refusais l’idée de confession, mes goûts vestimentaires, rien ne trouvait grâce à leurs yeux. Ils révisèrent ma garde-robe, ma coiffure sans toutefois m’infliger le port du traditionnel serre-tête en vogue dans le milieu catho, mais ne réussirent jamais à me faire plier. Il est exact que je ne leur ai pas facilité la vie mais il aurait suffi de peu pour m’aider à supporter cette situation. Me laisser rentrer à Bédouin à chaque période de vacances scolaires et ne pas m’obliger à abandonner le piano par exemple !
Mais non, il y avait souvent une bonne raison pour me garder à Lisieux et concernant la musique, c’était, parait-il, incompatible avec un bon parcours scolaire ! J’entends encore mon oncle pontifier sur le sujet. Mes cousins dont il vantait les brillantes études, avaient-ils étudié d’un quelconque instrument ?
C’est à Guillaume le second de notre fratrie que je dois ma libération. Je terminais ma troisième très honorablement quand ma grand-mère paternelle m’annonça qu’elle m’avait inscrite pour le mois de juillet à un séjour linguistique en Angleterre ! Pleurs, cris, colère rien ne la fit plier. Je partis pour une petite ville pas très éloignée de Londres d’où j’envoyais une lettre désespérée à Guillaume. Faisant pour son travail de fréquents allers-retours sur la capitale londonienne il ne tarda guère à me rendre visite arrivant avec LA nouvelle qui allait me permettre de tenir le choc. Mes frères s’apprêtaient à provoquer un nouveau conseil de famille pour me rapatrier de manière définitive dans le sud. Je terminais ce séjour linguistique assurée de regagner Bédouin sans passer par la case Normandie. Alexandre et Nicolas se chargeraient de récupérer toutes mes affaires à Lisieux.
Je n’ai jamais cherché à savoir ce qui s’était passé lors de cette réunion. Je retrouvais mon midi, Igor toujours vaillant et Grand-mère quand même bien diminuée. Mon père, s’il n’arpentait plus la campagne se donnait corps et âme à sa nouvelle passion, l’horticulture. Notre mère toujours aussi papillonnante restait insaisissable.
A mon entrée en seconde j’entamais un nouveau chapitre de ma vie en intégrant un lycée public à Aix-en-Provence en qualité d’interne mais chaque week-end je rentrais à Bédouin. J’y retrouvais mes amours, Igor, Grand-mère et l’un ou l’autre de mes frères qui s’organisaient pour l’épauler Grand-mère.
A Lisieux la famille ne décolérait pas et bien évidemment ce fut sans surprise que certains de ses membres s’invitèrent pour les fêtes de fin d’année. J’hésitais sur la conduite à tenir, être présente ou accepter l’invitation d’une copine de lycée ! Lorsque ma mère nous apprit qu’elle serait en concert, je renonçais à toute provocation me sachant épaulé par Guillaume, Alex et Nicolas. Le soir de Noël par contre je provoquais sciemment le scandale en refusant de me joindre à eux pour la fameuse messe de minuit ! Action, réaction, le lendemain « le Père Noël » normand me boycottait ! Les mesures de rétorsion perdurèrent tous ces congés et plus encore. A compter de cette date, il n’y eut plus de trêve. La manifestation de leur rancœur prit différents tours. Pour mes dix huit ans, personne ne daigna se joindre à la fête organisée par ma famille et lorsque nous nous retrouvions au hasard des mariages mes oncles et grands-parents me battaient froid. Une fois, médusée, alors qu’une relation de la famille m’interrogeait sur mes projets d’avenir, ma grand-mère me devançant lui rétorqua que bien évidemment je n’avais pas réfléchi aussi loin.
Passé l’instant de suffocation, je me réfugiais dans notre voiture histoire de me ressaisir et trouver comment réparer l’affront subi. Au moment du dessert je profitais d’un moment de silence pour annoncer à l’assistance mon admission sur dossier à l’Université de Lyon pour préparer un master en biologie ! Licence à 21 ans, je pouvais légitimement être fière.
Quelques années plus tard diplôme en poche, peinant à trouver un poste m’emballant, je m’offrais un congé sabbatique en Ardèche, dans une petit village au milieu de nulle part. Je tombais sous le charme d’un apiculteur, de l’apiculture et des huiles essentielles. École d’aromathérapie à Aix en semaine, cours privés d’apiculture et je remportais le grand chelem, un métier, une passion, l’Amour. J’aurais pu être pleinement heureuse sans le départ de Grand-mère !
Seule le clair ressenti de sa présence bienveillante à mes côtés m’a permis de faire face et de faire mon deuil.
Quelques semaines plus tard toute la famille fut conviée à fêter les quatre-vingts dix ans de ma grand-mère, Manette. Une famille très traditionnelle qui ne compte toujours pas de moutons noirs. Relations triées sur le volet, études en établissements privés, tous mes cousins et cousines sont d’anciens scouts ou guides. Le sermon dominical fait partie des passages obligés et même pour cette fiesta, la messe dans l’ église d’un minuscule village près de Pont-l’évêque a été inscrite au programme. Dans cette famille, pour reprendre une réplique du film « Le père Noël est une ordure » chaque pot à son couvercle, par contre on ne recense aucun couple en union libre.
Pour une fois nous les « sudistes » étions au complet, notre mère ayant fait le déplacement.
Mes trois frères et mes deux belles-sœurs, Guillaume reste résolument célibataire, sont donc présents, quant à moi, mon amoureux n’a pas été invité, nous ne sommes pas mariés ni même fiancés officiellement ! Je suis seule, seule au pied du mur !
J’ai attendu patiemment le cœur battant la chamade que chacun ait porté un toast en l’honneur de la nonagénaire et au moment où chacun s’apprêtait à passer à table j’ai réclamé un moment de silence.
S’il m’a fallu un certain temps pour me lancer sous les regards interloqués de mes frères, je me suis sentie soudainement portée par une force phénoménale. J’étais comme spectatrice de moi-même. Il faut dire que mes chères huiles étaient de la partie, Laurier et Cèdre pour libérer la parole et rester d’une tranquillité inébranlable.
- « Manette, mais aussi vous mes oncles, tantes, cousins et cousines de Normandie, je tenais publiquement en ce jour particulier à vous remercier parce que sans vous je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui.
Lorsque vous m’avez arrachée à mon Midi, à Grand-mère, à mes frères, pour mon bien disiez-vous, j’ai cru que jamais je ne me relèverais du traumatisme dû à cette séparation.
Merci pour vos vexations, brimades car elles m’ont donnée la niaque. Il est exact que les contraintes sont finalement nos alliées.
Vous m’avez refusé de continuer le piano, j’ai pu me réfugier dans la rêverie, un plus finalement car s’accorder de ces instants stimule notre mémoire. Peut-être ne le savez vous pas ?
Vous n’avez jamais accepté que je monte à cheval avec mes cousins, c’était soit-disant une trop grande responsabilité, aviez-vous seulement demandé à mes parents ? Mais qu’importe, le temps des reprises je me baladais autour du centre équestre, la Nature m’apaisait. Je m’inventais un monde plus juste. C’est là que j’ai commencé à définir quelles étaient mes priorités de vie, justice et respect des désirs et souffrances de chacun.
Merci aussi d’avoir tenté de m’imposer vos croyances. Vous m’avez offert l’occasion de m’ouvrir à l’invisible et à la spiritualité, celle qui se passe de la Pompe et des dogmes. La solitude m’a permis de me sentir reliée à quelque chose qui me dépassait, que je découvrais dans tout ce qui vit. J’ai même réussi petit à petit à communiquer de cœur à cœur en faisant fi de la distance avec Grand-mère et même Igor. Et oui ! un chien ! Cela a de quoi vous surprendre !
D’ailleurs si aujourd’hui je vous ai imposé la présence de mon Julot, ce n’est pas par provocation. J’avais besoin de l’amour inconditionnel de ce compagnon pour faire la route puisque vous avez refusé de recevoir celui qui partage ma vie aujourd’hui et, c’est un scoop, le père de l’enfant que nous attendons. »
Restait à porter l’estocade finale, une grande respiration et je me lançais.
- « Julot à mes côté, je peux vous dire, de te dire Manette, que je m’en vais pour ne plus revenir. Comme le chante Sardou, je ne m’enfuis pas, je vole. Je n’ai même pas besoin de boussole !
Alors merci et à jamais ! »
Un silence sépulcral s’était abattu dans la salle, tous me regardaient, incrédules. Un bref coup d’œil à Julot couché sur mes pieds, un petit claquement de langue pour l’autoriser à bouger et je gagnais la porte le chien bondissant joyeusement à mes côtés. J’étais quand même sonnée et en passe d’oublier mes affaires quand une main ferme m’a enveloppé l’épaule m’obligeant à m’arrêter.
Mes frères étaient là juste derrière moi, suivis de près par mes parents.
J’ai craqué !
Embrassades, pleurs, rires, vocalises de Julot, nous n’en finissions pas de nous consoler mutuellement. Dans la salle des festivités par contre l’ambiance tardait à se réchauffer. Notre journée s’est poursuivie à Honfleur dans une délicieuse crêperie, La Trinquette, sur le quai Sainte Catherine. C’est bien l’un des rares coins de Normandie que j’aime. Nous avons joué les touristes et nous nous sommes quittés en soirée riches de promesses d’avenir.
Me voici donc sur la route du retour prête à écrire un nouveau chapitre de ma vie et je mesure à quel point il était essentiel de laisser parler mon cœur et de cesser de fuir.
En laissant libre-cours à ma colère, elle a perdu de sa force pour finalement disparaître complètement maintenant que les choses ont été dîtes. Je ne suis plus leur victime, ils ne sont plus mes bourreaux quant à mes parents je pense qu’ils ont entendu le message.
J’ai repris le pouvoir sur ma vie.
Tout est juste.