Au royaume de l’absurde, la folie est reine !
Délire d’auteur...
Voilà que j’ai une petite envie de Vallespir aujourd’hui…
Allez, hop, j’enfourne mon attirail de rando dans la voiture et je file sur Corsavy !
/image%2F1454506%2F20230102%2Fob_8a23ab_rcxb58484-sant-marti-de-cortsavi-corsa.jpg)
J’adore Corsavy, petit village typique perché au dessus des gorges de la Fou et de la vallée du Tech, point de départ de nombreuses randonnées, mais surtout, havre de paix, loin du tumulte estival des zones littorales ; l’idéal pour décompresser sans faire des heures de route.
Ciao, les fous !
Aujourd’hui, petite marche tranquille autour du hameau ; j’ai surtout besoin d’un bon bain de nature et de silence, bien plus que d’une performance sportive. Inspirer, expirer, sentir, toucher, vibrer à l’unisson d’un univers sauvage et libre, me connecter aux arbres.
J’avance, le nez en l’air, sécurisée par mes bâtons, fouillant des yeux le feuillage des arbres, espérant y surprendre quelque habitant, à poils ou à plumes. Je botanise un peu, même si dans ce domaine, je ne fais que balbutier. C’est une occasion de vérifier mes connaissances, en quelques sortes...
Je vais, je viens, j’improvise au gré de mes envies, de mon intuition, jusqu’à ce qu’un petit creux à l’estomac se fasse sentir, me poussant à chercher un endroit propice à la restauration. J’avise alors une jolie clairière et un tronc d’arbre idéal pour me servir de siège. Voilà une salle à manger cinq étoiles, avec vue sur les monts du Vallespir, la tour et le village en contrebas… C’est grandiose ; je revis.
Tiens! J'entends des voix ; une voix d’enfant en particulier. Des promeneurs… Normal, je me promène, pourquoi d’autres ne le feraient-ils pas ? Une petite fille surgit bientôt dans la clairière, sa chevelure bouclée jaillissant d’un chapeau de paille à larges bords ; un petit chien beige batifole à ses côtés, genre boule de poils hirsutes ; un peu court sur pattes, mais sympa… M’apercevant sur mon trône végétal, la gamine s’immobilise et se retourne en adressant un signe discret à un ou des accompagnateurs encore dissimulés à ma vue. Moins hésitant, le chien file droit sur moi en battant de la queue.
Une femme surgit à son tour du couvert et rejoint l’enfant; randonneuse « pur jus » : bermuda, gros godillots et sac à dos. Avec ses cheveux gris, il s’agit sans doute d’une retraitée comme moi, et comme la plupart des marcheurs qu’il m’arrive de croiser en chemin ; les jeunes marchent peu. C’est dommage.
La femme et la petite fille échangent quelques mots avant de se décider à avancer dans ma direction. Le chemin passe devant mon tronc d’arbre avant de s’enfoncer à nouveau dans la forêt… Difficile de m’éviter ! De toute façon, le chien m’a déjà rejointe et frétille autour de moi, vivement intéressé par le contenu de mon sac à dos.
- Presto ! Non !
Un regard de mendiant me fixe avec intensité ; je résiste. « Presto »… Tiens, c’est drôle…
- Bon appétit ! S’écrie la femme avec un large sourire.
- Bon appétit, ajoute la petite fille en écho, sa jolie frimousse halée rayonnante.
Il s’ensuit un petit échange de banalités sur le temps radieux, le paysage somptueux, la paix royale, avant que la randonneuse en chef ne donne le signal du départ :
- Allez, les enfants, on continue !
La petite fille est déçue :
- On ne mange pas là ? J’ai faim, moi !
- Mais non, on va aller un petit peu plus loin.
J’interviens :
- Mais vous pouvez vous installer là, il y a de la place et d’autres troncs d’arbres !
- On ne voudrait pas vous embêter !
- Mais pas du tout ! Je ne déteste pas la compagnie, au contraire !
La petite est ravie. Derechef, elle avise une souche à proximité et s’y installe en soupirant d’aise après s’être débarrassée de son sac à dos.
La femme - sa grand-mère, peut-être - hésite encore :
- Mais vous êtes sûre ?
- Tout à fait !
- Bon.
Oui, je suis sûre. Je ne sais pas pourquoi, ces deux-là me sont sympathiques. Ces trois-là, devrais-je dire ; le chien est craquant. J’ai l’impression d’avoir des tas de choses à leur dire comme si je retrouvais de vieilles connaissances.
- Bon, Presto, tu laisses la dame ! reprend la femme en empoignant le chien par son collier pour le tirer en arrière. Vic, appelle-le !
Là, je sursaute. De plus en plus bizarre ! Presto, Vic… Une pensée me traverse mais elle est tellement folle que je la rejette aussitôt. Oui, mais quand même, ces noms-là, précisément… C’est troublant. Je ne crois pas vraiment au hasard.
- Heu… Excusez-moi, mais…
J’hésite encore. Ce à quoi je pense est complètement impossible.
La femme attend, le regard interrogatif :
- Oui ?
Je secoue la tête :
- Non… Rien. Enfin, je ne sais pas… Vous êtes… Vous ne seriez pas…
Elle attend. Je me jette à l’eau :
- Alice… Alice Paradou.
Je la vois hausser les sourcils, surprise, puis les froncer, intriguée, pour ne pas dire interloquée :
- Oui. Oui, je m’appelle Alice. Mais… On se connaît ?
Je reste abasourdie. C’est dingue. Complètement dingue.
- Oui, on se connaît. Enfin, moi, je vous connais bien… Et Victorine aussi. Et même Presto.
Son demi-sourire, mi-figue mi-raisin, me laisse à penser qu’elle me croit folle ou que c’est elle qui le devient.
Elle se laisse tomber sur une souche proche de mon tronc d’arbre. Presto en profite pour venir me coller et renifler du côté de mon casse-croûte. Je suis si heureuse de le voir, de pouvoir le toucher. J’en profite ! Il me rappelle tellement Léo.
Victorine se rapproche ; elle doit se sentir un peu isolée et, comme je la connais, il lui est sans doute très désagréable d’être mise à l’écart. Elle est belle, cette petite… Intelligente, directe, drôle, sans jamais être culottée, le genre d’enfant dont on aimerait remplir sa classe, « l’élève friandise », comme dit Daniel Pennac. C’est tout à fait ça.
Je pointe un doigt sur ma poitrine :
- Moi, c’est Frédérique. Frédérique Longville.
Le visage d’Alice s’éclaire soudain ; elle ouvre la bouche pour émettre un son qui ne sort pas ; ses yeux riboulent, elle hoche plusieurs fois la tête, déglutit :
- Incroyable ! s’écrie-t-elle enfin.
Je pense qu’elle va avoir du mal à se remettre de sa surprise ; plus que moi, peut-être. Mais elle a raison, c’est incroyable.
- Oh, je ne t’ai… vous ai… Enfin, il faut dire qu’on ne s’est jamais vues. On se tutoie ou on se vouvoie ?..
- Je crois qu’on peut se dire tu ; on est quand même très proches, non ?
Nous partons d’un grand éclat de rire. Victorine nous observe alternativement avec étonnement et circonspection. Elle ne comprend rien évidemment. Presto, lui, s’en fiche. Il se laisse caresser et tout va bien pour lui.
- Proches, oui, répond Alice, mais toi tu me connais nettement mieux que je ne te connais.
Je concède. Nous ne sommes pas tout à fait à égalité. Je pourrais dire que je la connais presque intimement ; pas elle. Loin de là.
Tout en parlant, Alice a déballé son pique-nique.
- Vous, reprend-elle… Toi, je veux dire… Tu es d’ici ?
- Non, j’habite dans la plaine. Il y a tellement de monde en bas que j’avais besoin de solitude. Et Corsavy est un de mes endroits favoris.
- Je m’en doute…
- Hé oui ! Corsavy, Saint-Guillem…
- Forcément, on a les mêmes goûts !
- Naturellement !
Nouvel éclat de rire. Victorine fronce les sourcils :
- Je comprends rien, déclare-t-elle.
- On t’expliquera, répond Alice. Mais, tu es quand même originaire des Pyrénées Orientales ?
- Non, non. Je suis née à Clamart, près de Paris. J’ai commencé à aimer cette région enfant, avant même de la connaître parce que notre mère, qui l’avait découverte en 1940, en parlait tout le temps comme d’un petit paradis. Après, nous y sommes venus en vacances tous les ans, en camping , puis nous avons acheté la maison. A l’aube de l’an 2000, ma sœur et moi, nous avons obtenu ensemble notre mutation. Un coup de chance incroyable ! Et nous avons terminé notre carrière ici, dans les PO. A la retraite, elle s’est mise à peindre et moi à écrire.
- Carrière de quoi ?
- Instit. Enfin, « prof des écoles ».
Victorine sursaute et me dévisage avec des grands yeux ébahis :
- T’es une maîtresse ?
Je lui adresse un sourire rassurant :
- J’étais, je ne le suis plus. Maintenant, j’écris. C’est pour ça que tu es là… Et Alice… Hugo, Camille...Vous ne seriez pas là sans moi !
Je sens que j’ai rajouté une couche à sa perplexité.
- Moi, je comprends pourquoi tu connais si bien les enfants, remarque Alice.
J’esquisse un petit sourire modeste ; oui, c’est vrai qu’ils sont très présents dans mes écrits, comme les animaux ; chiens, chats, chevaux, la nature…
- En tous les cas, reprend Alice, moi, je ne te remercierai jamais assez de m’avoir installée dans ce décor. C’est fabuleux ici. Qu’est-ce que je suis bien ! Et dans mon entourage, je t’assure que personne ne me contredira.
Un peu déçue par la conversation,Victorine a pris son sandwich et est partie explorer la clairière avec Presto ; c’est vrai qu’à son âge, on a mieux à faire qu’à papoter.
- Tu n’aimerais pas venir t’installer ici ? poursuit Alice.
- Oh, ça m’arrive d’y penser. Mais j’aime bien ma maison et l’idée de déménager encore ne me sourit pas vraiment. J’ai fait mon trou ; nous avons un bon réseau d’amis. Je n’ai pas envie de recommencer tout ça.
- Je comprends. Mais on pourra toujours se voir de temps en temps, se rendre des petites visites, échanger des idées pour la construction de notre nouveau monde. C’est ça, notre but, maintenant, n’est-ce pas ?
- Tout à fait.
Elle m’adresse un clin d’œil en mordant dans son sandwich. Je suis curieuse :
- Moi, je serais heureuse de rencontrer Camille, Hugo, et tous les autres… Ils vont bien ?
- Très bien ! Mais, dis-moi, tu as écrit combien de livres ?
- Une dizaine…
- Waouh ! Félicitations !
- Merci.
Elle avale quelques bouchées, le regard perdu sur le paysage, puis :
- Et qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’écrire cette histoire ? La mienne, je veux dire…
Je réfléchis pour essayer de résumer brièvement ma démarche initiale :
- Hé bien, j’ai constaté que beaucoup de personnes autour de moi sacrifient leurs aspirations profondes aux conventions sociales ou familiales… Comme toi, au début, tu te souviens ? Tu étais incapable de dire « non » à ta fille qui en profitait pour t’exploiter… Ou comme ton fils, qui se laissait « bouffer » par son travail et par les exigences de sa femme avant de réaliser qu’il ne vivait pas ce qu’il souhaitait vraiment… ou comme ton autre fille, Camille, qui se laissait « utilisée » par ses amis, ses relations. Beaucoup de gens ne savent pas dire « non » parce qu’ils ont peur d’être rejetés.
- Oui, c’est vrai. Tu m’as bien aidée, et Nicolas et Camille aussi. Merci aussi pour tout ça !
- De rien. Tu sais, j’avoue que moi aussi, j’ai encore du mal à dire « non ».
Alice éclate de rire :
- Je te donnerai des conseils !
Victorine revient vers nous en sautillant, flanquée de son fidèle compagnon :
- Nanie, quand est-ce qu’on repart ?
- Bientôt, répond Alice machinalement.
Je pense qu’en réalité, elle n’est pas du tout pressée de lever le camp.
- En tous les cas, j’ai l’impression que tu n’as pas eu trop de mal à trouver le sujet de la suite du premier livre !
J’en conviens.
- Les circonstances s’imposaient ! On a vécu des choses tellement incroyables, le virus, les confinements et tout ce qui a suivi… Je ne pouvais pas passer à côté de ça.
- C’était une très bonne idée, cette suite ; on était tous contents de s’y remettre ! Et moi, je suis partante pour un troisième tome. Tu y songes ?
- De temps en temps. Mais il faut attendre un peu parce que j’ai fait se terminer le second en 2025 ! Je ne peux pas commencer avant.
- Ah, ça va faire long…
- Oui, mais ça me laisse le temps de peaufiner le sujet !
- Tu veux dire, ça « nous » laisse ! On pourra se concerter maintenant qu’on s’est rencontrées.
- Oui, bien sûr ! Et ça nous laissera le temps aussi de voir comment la situation mondiale évolue… La guerre, le Covid…
- On en sera peut-être à la vingt-cinquième vague… Ou plus ?
- Ils auront peut-être trouvé autre chose, va savoir. Il ne sont jamais à court d’idée pour faire peur aux gens afin de les manipuler plus facilement. Mais je pense que nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre et à ne plus nous laisser faire. Nous allons sans doute finir par évoluer dans deux univers distincts ; d’un côté, ceux qui ont peur et ceux qui veulent continuer à vivre dans une société artificielle de profit et de plaisir ; de l’autre, ceux qui ont la volonté de créer une autre société, plus équitable et plus respectueuse du vivant. Ce sera peut-être le thème du troisième tome… Partante ?
- Et comment ! Je vais y réfléchir de mon côté.
Alice se redresse et soupire d’aise :
- Tu redescends sur Corsavy, maintenant ?
- Oui.
- On fait le chemin ensemble ?
- Bien sûr ! Comme ça, on pourra continuer à papoter !
- Et Vic sera contente de repartir ; avec elle, il faut que ça bouge !
- C’est normal, à son âge… C’est même rassurant.
Nous rangeons et nous nous mettons en marche aussitôt. Victorine et Presto nous précèdent gaillardement. A l’arrière, nous passons en revue les différents protagonistes de ma « saga »et Alice m’informe du décès de Marc, le mari de Cathy, sa voisine, qui n’a pas résisté à un second infarctus. Et dire que moi, l’auteur, je n’en ai rien su ! Parfois, les personnages vous échappent et n’en font qu’à leur tête ! Ce n’est pas la première fois que je constate ce phénomène : je monte un projet, je dresse un synopsis, je sais à peu près où je vais et soudain… Paf ! Un personnage déraille, en entraîne un autre et je suis obligée de changer de direction et d’inventer un nouveau scénario. Il m’arrive de me féliciter de leurs initiatives, mais si ce n’est pas le cas, je recadre ! Non mais, c’est qui, l’auteur ? Hein ??? On n’est pas là pour écrire n’importe quoi, quand même !
Nous voilà de retour à Corsavy. Ma voiture est au parking et Alice continue sa route jusque chez elle, à la périphérie du village. Elle me suggère de venir boire quelque chose mais je décline en dépit de mon envie d’aller voir sur place à quoi ressemble vraiment le « Cortal ». J’ai tout imaginé, mais je pourrais bien être surprise !
Ce sera pour une autre fois. On m’attend à Saint G. et je ne peux plus guère m’attarder ; avec les touristes, le trajet risque d’être un peu plus long qu’à l’accoutumée.
- La prochaine fois, je viens avec ma sœur ! Tu sais, elle te connaît presque aussi bien que moi. Elle lit, relit, re-relit… Elle sera ravie de te rencontrer. Souvent, en blaguant, quand on a envie de venir à Corsavy, on dit : « on va voir Alice ? ».
- Hé ben, tu vois, c’est possible !
- Oui, on a raison de dire que l’on crée sa réalité. Nos pensées sont des énergies susceptibles d’agir sur la matière… De condenser la matière… Mais je n’aurais jamais imaginé en avoir une telle preuve.
- C’est la première fois que tu rencontres tes personnages ?
- Oui, et je peux te dire que c’est drôlement émouvant !
- Du coup, il faudrait prévenir les auteurs pour qu’ils fassent attention à ce qu’ils écrivent !
- Oh là là, oui ! Tous ces livres hyper violents, ces films… Pas étonnant que le monde aille si mal !
- Allez ! Pensons positif ! On l’a compris, c’est important ! On s’embrasse ?
Nous nous étreignons chaleureusement ; Victorine arrive pour me sauter au cou et Presto me couvre de léchouilles baveuses.
- Mais alors, t’es qui ? questionne Victorine qui n’a toujours pas pu assouvir sa curiosité.
J’adresse un clin d’œil à Alice :
- Nanie va t’expliquer, c’est un peu compliqué…
Je les regarde s’éloigner tous les trois, heureuse, comblée, très émue. Ils sont beaux. Je les ai vus, touchés, embrassés ; je leur ai parlé… C’est magique !
Soudain, Alice se retourne :
- Hé, tu pourrais peut-être organiser une grande réunion de tous tes personnages ! Ce serait drôle de se rencontrer tous !
Ça aussi, j’y ai déjà pensé.
- Je vais y réfléchir !!!
Bon, en attendant, j’ai du pain sur la planche. J’ai laissé tomber ma Lison en Ariège et je ne sais pas trop comment faire évoluer cette histoire-là. Il va falloir que je me penche sérieusement sur l’élaboration d’un synopsis au lieu d’avancer à l’aveuglette ; ce n’est pas trop sérieux.
Et puis, il va falloir retrouver tous les autres ! Nicolas, Charlotte, Margaux, Thibault, Inès… Élisabeth et Gabriel… Mathilde et Valentine… Hé bien, ça va en faire du monde !
Tout ça nous rapprochera de 2025 et du troisième tome.
Pourvu qu’ils ne me réclament pas tous une suite...
Frédérique
L’histoire d’Alice :
Livre 1https://www.leseditionsdunet.com/livre/moi-aussi-jexiste
Livre 2https://www.leseditionsdunet.com/livre/la-liberte-au-coeur