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27 juillet 2016 3 27 /07 /juillet /2016 14:57

Tu ne peux pas comprendre…

Frédérique Longville

Nouvelle

Tu ne peux pas comprendre... Nouvelle

La silhouette élancée, la démarche vive, véritable explosion de couleurs dans sa longue tunique chamarrée, et son large pantalon rouge, Sophie vient de s’engouffrer dans la salle du restaurant. Elle la traverse en saluant de multiples connaissances à droite et à gauche, et après une courte halte pour faire la bise au serveur, rejoint au fond de la salle le petit groupe d’amies regroupées à sa table habituelle.

Depuis plus de vingt ans, « Le P’tit Noir » est leur point de ralliement, leur QG, leur port d’attache. Dans leur décor Belle Epoque, les murs couverts de photographies d’artistes en noir et blanc ont été les témoins de leurs confidences, de leurs fou-rires, de leurs angoisses ; ils savent tout ou presque d’elles ; tout ce qu’elles ont bien voulu dire. Les appliques anciennes dispensent un éclairage intimiste tout à fait à leur convenance. La table est raffinée ; discrètement disposés, les hauts parleurs diffusent des programmes classiques qui les laissent libres de deviser sans noyer leurs paroles. Une pause salutaire dans le tourbillon de la vie.

L’étonnement fige le visage de Sophie au milieu des embrassades, tandis que son regard myope balaye l’assemblée derrière ses lunettes à monture rouge… Tiens, elles ne sont que trois ?

- Agnès n’est pas là ?

- Elle vient de téléphoner, répond Isabelle en se levant pour l’accueillir, plus petite que Sophie, un peu boulotte et serrée dans un petit tailleur classique, cheveux blonds coupés courts et maquillage discret mettant en valeur son regard bleu. Elle devait voir son médecin et il a pris du retard. Elle pense arriver d’ici trois quart d’heure. Elle nous a dit de commander et de commencer.

- Quand même, on n’est pas si pressées, d’autant que Anne ne nous rejoindra que pour le dessert ! répond Sophie en souriant à Florence qui s’est dressée à son tour. Qu’est-ce qu’elle a ?

Florence prend la parole à son tour pour expliquer. Tout en l’écoutant, Sophie s’étonne une fois encore du choix vestimentaire de son amie ; du noir, du gris, du blanc, du classique, du sérieux. Elle lui a souvent suggéré de mettre de la couleur dans sa vie. Tout est si noir chez elle. Jusqu’à ses cheveux bien trop courts qu’elle s’obstine à maintenir dans leur couleur originale, d’un brun profond qui accentue les multiple marques du temps sur son visage. Que c’est triste, tout ça…

- Rien de particulier. Elle a passé sa coloscopie hier et son médecin devait lui commenter les résultats.

Sophie s’abstient de tout commentaire, lève les yeux au ciel et soupire en se tournant vers Catherine, la dernière du trio, longue et fine comme une allumette. Elle la trouve très en beauté ce soir, avec sa petite robe chasuble et sa nouvelle couleur, un blond doré plus doux à son visage anguleux.

- Tu as changé de rouge à lèvres, remarque-t-elle également.

- Exact !

- J’aime bien. Ça te va bien.

- Merci. Mais toi, ça fait drôle de te voir sans teinture ; on n’a pas l’habitude… Oh, mais finalement ça ne te vieillit pas trop. Hein ? Qu’est-ce que vous en pensez, les filles ?

Isabelle et Florence promènent un regard critique sur l’épaisse tignasse de leur amie. Adepte de la simplicité, Sophie s’est contenté de la tresser sur la nuque.

- Moi, dit Isabelle, je serais toi, je les couperais, mais ça te va bien. Ça fait ressortir ton bronzage. Vous revenez encore de vacances ?

Sophie ricane en s’installant à sa place :

- « Encore », comme tu dis… Hé oui ! Avec un camping-car, on a vite fait un tour, qu’est-ce que tu veux ! Et vous, alors ? Ça va ?

Un soupir général lui répond. Elle éclate de rire malgré elle :

- A ce point ?

Isabelle fronce les sourcils ; elle a vraiment l’air fâché :

- Ça te va bien, toi ! Tu ne peux pas comprendre, tu es toujours en pleine forme !

Sophie demeure un bref instant bouche bée. Isabelle a bien l’air de lui faire un reproche ! Et voilà Florence qui renchérit, réellement amère :

- C’est vrai… Anne et toi, vous n’avez jamais mal nulle part… Jamais de rhume, de crise de foie, pas même un mal de tête… C’en est presque écœurant !

Et Catherine qui opine du chef ; c’est qu’elle a l’air d’accord ! C’est la meilleure.

- Hé bien excusez-moi, bredouille Sophie, face à ce tir groupé. Enfin, excusez-nous d’être bien portantes, se reprend-elle vivement. Vous pourrez en faire la remarque à Anne quand elle arrivera. Elle appréciera…

- Non mais, comprends, Sophie, tempère Catherine, c’est vrai quoi… Toutes les deux, vous êtes étonnantes. Tiens, quand-est-ce que tu as vu le médecin pour la dernière fois ?

Sophie réfléchit intensément. C’est vrai que ça fait un bail.

- Je dirais un peu plus d’un an...

Isabelle bondit littéralement :

- Hé bien moi, je dis que ça n’est pas raisonnable, annonce-t-elle sur un ton péremptoire. A nos âges, on a besoin de voir le médecin régulièrement, de se faire prendre la tension, de faire des analyses…

Sophie se redresse :

- Je fais ce que je veux ! Et tant que je me sens bien, je ne vois personne. Et on dirait que ça me réussit puisque ça vous rend jalouses ! Vous, vous êtes toujours chez le toubib, et vous avez toujours un pet de travers !

Catherine opine du chef gravement:

- De toute façon, nous ne sommes pas égaux face à la maladie. C’est vrai qu’Agnès a beaucoup de problèmes de santé… A tous les niveaux : le dos, les intestins, les yeux… Elle est dépressive, mais franchement, il y a de quoi.

Sophie esquisse une moue dubitative.

- C’est peut-être le contraire…

- Comment ça ?

- C’est peut-être parce qu’elle est dépressive qu’elle a tous ses problèmes. Elle n’a pas une vie marrante.

- Bien sûr, c’est un cercle vicieux. Mais qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse ?

Sophie demeure silencieuse.

Catherine soupire gravement.

- La pauvre, avec son père…

Un lourd silence s’installe. Chacune semble méditer sur la situation inquiétante de leur amie, empêtrée dans des problèmes familiaux à n’en plus finir : veuve, un fils unique expatrié en Floride, et un parent en grave situation de dépendance à son domicile.

- Il parait qu’il est de plus en plus tyrannique, murmure Catherine. Il ne supporte plus tous ces intervenants qui se succèdent toute la journée, infirmiers, kiné, aide-ménagère… Vous vous rendez compte ? Il va jusqu’à exiger que ce soit Agnès qui lui fasse sa toilette ; il ne veut pas des aides-soignants. Tout juste s’il accepte la présence d’une dame de compagnie quand elle doit s’absenter. Et encore le fait-elle un minimum ! A force de le manipuler, tu m’étonnes qu’elle ait le dos flingué…

Sophie approuve vigoureusement :

- C’est sûr… Moi, je vois, avec notre mère, quand on s’est retrouvées dans la même situation, Anne et moi, on avait mal partout : dans le dos, aux épaules, aux poignets…

Isabelle lui coupe la parole :

- Ah oui, mais vous, c’était pas pareil ! Vous étiez deux ! Agnès, elle fait face toute seule !

Sophie en reste coite. Dans sa tête, défilent rapidement les douloureuses années du déclin de leur mère ; une décennie. Oui, c’est vrai, elles se sont bien épaulées, Anne et elle. Mais quand même ! Et il n’y avait pas que les problèmes physiques ; il fallait aussi assumer la détresse morale, le combat de cette femme pour conserver son intégrité jusqu’au bout en dépit des dégradations physiques. Elles avaient beau l’aimer plus que tout, elles n’avaient pas toujours compris. Ce fut dur…

C’est vrai. Elles étaient deux. Sophie serre les lèvres et se tait. Puisqu’elle ne peut pas comprendre…

C’est vrai, elle ne comprend pas la résignation d’Agnès à accepter de cet homme toutes les humiliations. Elle ne comprend pas ce corps médical qui jamais ne lui a dit que la situation serait trop difficile pour elle, qu’elle ne pourrait jamais l’assumer jusqu’au bout sans mettre en péril sa propre santé. Elle ne comprend pas cette amie qui court au suicide dans l’indifférence générale d’un système impuissant à aider vraiment les aidants. Inutile par ailleurs de lui dire que cela ne peut plus continuer ainsi ; elle répond invariablement : « qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? » Mais bon sang, qu’est-ce qu’il attend, son médecin traitant, pour lui dire en face : « madame, vous vous détruisez. Votre père n’est plus à sa place chez vous ; il a besoin d’un établissement spécialisé. C’est lui ou vous.» ?

Le regard baissé sur son assiette, Sophie se garde bien de faire part de ces remarques. Non, effectivement, ça la dépasse ; mais ça ne sert à rien de le redire.

Heureusement, Catherine change de sujet :

- Bon alors, les filles, quand est-ce que vous venez me voir à la boutique ? J’y suis tous les jours en ce moment !

Les trois autres ouvrent des yeux ronds ; toutes savent parfaitement que leur amie va de temps à autre prêter main forte au magasin d’antiquités de son fils, mais tant qu’à y être à plein temps, c’est une nouveauté. Ce ne serait pas un peu beaucoup ?

- Tous les jours ? reprend Sophie.

- Oui… Comme Thibault passe beaucoup de temps auprès de sa femme dépressive, il m’a demandé de le remplacer pour un petit moment. Oh, ce n’est pas que ce soit désagréable, mais ça veut dire une heure de transport en commun le matin et une heure le soir ; parfois plus, aux heures de pointe… Je suis crevée ! J’ai ma sciatique qui s’est réveillée et j’ai dû prendre rendez-vous chez le rhumato. Heureusement qu’il avait un trou après-demain !

- Et ça va durer encore longtemps ?

- Aucune idée.

- Dis-lui que tu es fatiguée et de trouver une autre solution !

- Je ne peux pas lui faire ça… C’est déjà dur avec sa femme…

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- Elle n’arrive pas à se remettre du décès de sa mère.

Sophie opine du chef :

- Ça, je le comprends… C’est un deuil difficile à faire. Moi, ça va faire deux ans et…

- Oui, mais toi, c’est différent ; ta mère avait atteint un bel âge. A cent ans, on ne peut pas s’attendre à ce que ça dure encore beaucoup.

- Et d’ailleurs, je ne le souhaitais pas, répond Sophie sèchement… Mais l’amour ne fait pas la différence, si tu vois ce que je veux dire…

Un nouveau silence s’installe, jusqu’à l’intervention d’Isabelle :

- Moi aussi, je suis crevée. Je suis allée garder les garçons de ma fille, le week-end dernier. Ils sont terribles ; c’est épuisant.

Sophie se récrie presque malgré elle :

- Oh, les filles, attention, vous vous laissez bouffer !

Elle a beau ne pas insister, la réponse, inévitable, ne tarde pas à fuser des lèvres d’Isabelle :

- Toi, évidemment, tu ne sais pas ce que c’est, tu n’as pas d’enfant !

Comme autrefois, lorsqu’elle avait le malheur de leur faire des suggestions sur le plan éducatif ! Elle pouvait bien leur faire remarquer que même si elle n’avait pas d’enfant à elle, elle en avait une trentaine dans sa classe depuis un certain nombre d’années et s’occupait régulièrement de sa filleule, - c’était tout de même une certaine expérience-, ses remarques étaient toujours tournées en dérision : avoir un enfant, à soi, c’est une toute autre affaire. Elle n’avait pas voix au chapitre, tout comme Anne qui avait embrassé la même profession. Encore un sujet de discorde, d’ailleurs, cette profession, soit dit en passant… On ne manquait pas de leur clouer le bec à la moindre réflexion sur le monde du travail ! Comparé au privé, l’Education Nationale est un milieu tellement favorisé (sécurité de l’emploi, vacances…) qu’elles ne pouvaient pas comprendre ! Forcément…

Sophie prend une longue inspiration ; le bouillon commence à lui monter à la tête ! Ras le bol, des « tu ne peux pas savoir » ou « tu ne peux pas comprendre » ! D’autant qu’elle sait ce que c’est que d’assumer des enfants à plein temps, tout comme Anne qui a partiellement élevé les enfants de son « ex » !

- Peut-être, mais j’ai connu des mères et des grands-mères qui ne se seraient jamais laissées exploiter ! Tiens, ma tante, il lui arrivait de garder ses petits-enfants, mais si cela lui allait bien, à elle. Quand elle en avait envie. Et pas seulement pour rendre service… Les baby-sitters, ça existe.

- Et ça coûte cher, pour de jeunes ménages !

Sophie la regarde, interdite. C’est Isabelle qui dit ça ? Alors que son fils est fondé de pouvoir au Crédit Agricole et sa belle-fille expert-comptable ? Ils n’ont pas les moyens de se payer une baby-sitter ?

- Arrêtez… Arrêtez de vous plaindre… Isa, si tu gardes les petits, c’est que tu le veux bien ! Pareil pour toi, Cathy… Avoue que ça ne te déplaît de garder le magasin de Thibault. C’est que quelque part vous y trouvez votre compte !

Isabelle rougit de fureur :

- Tu ne crois pas que je préfèrerais me payer du bon temps, comme toi qui revient encore de voyage, plutôt que de garder des gamins qui ne savent pas obéir ?

- Mais non ! Tout est une question de choix, dans la vie !

La révolte gronde ; elle est sur le point d’exploser… Isabelle et Catherine ne peuvent accepter ce discours. Elles sont victimes et revendiquent haut et fort ce statut. On doit les plaindre !

Florence ne dit rien. Elle n’est jamais très bavarde mais Sophie la trouve particulièrement mutique aujourd’hui. Elle n’est ni mère, ni grand-mère ; enfin pas vraiment… Sans doute estime-t-elle ne pas avoir son mot à dire dans ce domaine. Elle a pourtant des raisons de se plaindre, même si ce ne sont pas les mêmes que les autres : un mari autoritaire, intransigeant et volage qui n’a rien trouvé de mieux que d’héberger sous leur toit sa fille d’un premier mariage, avec son mari et leur bébé de huit mois. Un jeune couple sans revenu, pas vraiment décidé à entrer dans la vie active, mais qui profite sans scrupule de tous les avantages de la situation depuis plus d’un an : logis, nourris, blanchis et une baby-sitter gratuite à l’occasion, et sans jamais proposer le moindre coup de main. Florence subit tout cela sans trop se rebeller se confiant à ses amies quand elle n’en peut plus. C’est comme une soupape de sécurité. Sophie lui a déjà suggéré de ruer dans les brancards, de cesser de tout accepter, d’exiger qu’on la respecte ou à défaut, de plaquer tous ces profiteurs et de quitter le domicile ; elle a une retraite correcte et largement les moyens de s’assumer seule, après tout ! Mais voilà qui a toujours fait ricaner Florence : pas si facile, qu’est-ce qu’elle croit ? En tant que célibataire, Sophie ne peut pas savoir… D’abord, il lui faudra trouver le courage de sauter le pas, d’affronter la fureur de son mari quand elle devra lui annoncer qu’elle veut le quitter. Et puis après, elle se retrouvera seule. Sait-elle seulement ce que c’est, Sophie, la solitude ? Elle qui a la chance de vivre avec sa sœur avec qui elle s’entend à merveille ?

Agnès a fait son entrée, étouffant la discorde dans l’œuf. La remarque de Sophie est déjà oubliée. Presque. Agnès porte un de ses sempiternels tailleurs pantalon. Cheveux gris, coupe classique, quasi-réglementaire chez les plus de 60 ans : à la garçonne ! On se lève, on s’embrasse, on s’inquiète :

- Alors ?

- C’est bon, tout va bien.

Agnès se laisse tomber sur son siège en soupirant.

- Je n’en peux plus ! Ah, quelle journée ! Papa m’en a fait voir de toutes les couleurs et je viens d’apprendre qu’une grande amie souffre d’un cancer du sein. Entre ça et tout ce qui se passe partout, franchement, il n’y a pas de quoi se réjouir !

Sophie hausse les épaules :

- Les infos, il ne faut pas les écouter.

- Il faut bien se tenir au courant.

- Je ne les écoute jamais et je suis quand-même au courant de ce qui se passe. Une fois par jour, j’ouvre Internet et ça me suffit.

- Moi, j’ai besoin de la radio et de la télé pour me tenir compagnie.

- Tu pourrais aussi écouter de la musique… mais si tu préfères te polluer et te rendre malade avec les mauvaises nouvelles, tant pis ! C’est ton choix. C’est ce que je disais tout à l’heure ; tout est une question de choix. Et je ne vous parle pas de choix karmique ; je sais que vous n’y croyez pas vraiment.

Il y a un échange de regards perplexes dans l’assistance. Sophie les dévisage tour à tour avant de poursuivre :

- Vous êtes toujours en train de vous plaindre et d’envier les autres, ceux qui vont bien. Pour vous, on dirait que ce n’est pas normal. C’est suspect. A cause de ça, depuis un moment, je me sens en porte-à-faux. Excusez-moi, mais j’ai un peu l’impression que ça va nous porter la poisse !

Sophie hoche la tête :

- C’est vrai qu’Anne et moi, nous avons de la chance…

Elle ne peut qu’en convenir. Elle en remercie d’ailleurs la Providence chaque fois qu’elle le peut !

- Mais bon, vous oubliez aussi les inconvénients de notre situation ! Notre société est très normative, et ce n’est pas toujours confortable d’être marginal. Même si nous l’avons choisi, il nous arrive d’en être victime et d’en souffrir.

Sophie s’arrête, à la recherche d’un trait d’humour susceptible d’alléger l’atmosphère :

- Regardez, mise à part toi, Agnès, quand il y a une panne à la maison, vos maris peuvent s’en occuper ! Je ne vous parle pas de la panne de voiture : en tant que femme seule, on ne peut pas dire que les garagistes te prennent au sérieux, quand encore ils ne cherchent pas à t’arnaquer !... Et par ailleurs, sentimentalement, quand vous avez envie d’un câlin, vous avez ce qu’il faut sous la main ! C’est cool, non ?

Avec un sourire hésitant, Sophie enveloppe ses amies d’un regard tranquille.

- Oui, je suis convaincue que tout est une question de choix, conclut-elle. Et aussi qu’il est toujours temps de corriger, de dire stop quand ce que l’on vit ne nous convient plus. Alors peut-être qu'avec Anne, grosso modo, on fait les bon choix.

Cette fois, elle pense avoir tout dit et se tait. Elle a réussi à exprimer son ressenti, à leur dire pourquoi elle ne se sent plus en phase, pourquoi elle n'arrive plus à les plaindre. Elle est soulagée. Elle ne leur en veut pas. Elle n’est pas en colère. Elle est satisfaite d’avoir délivré son message, mais se désole de ne lire que de l’incrédulité dans les yeux de ses amies.

Alors elle soupire, hausse les épaules et secoue la tête :

- Je crois que vous ne pouvez pas comprendre, murmure-t-elle.

Un long silence s’installe. Pesant. A la limite du supportable. Sophie a-t-elle précipité la fin de leur amitié commune ? Elle s’en voudrait, mais en même temps, elle ne regrette rien. Elle a dit ce qu’elle devait dire.

Et soudain, une petit voix s’élève, mal assurée, mais parfaitement audible :

- Si. Je commence à comprendre.

Tous les regards convergent vers Florence, tapie dans le recoin le plus obscur de la salle, presqu’invisible. Noir sur noir… Elle se redresse, offre son visage à la lueur d’une applique. Son regard sombre, toujours un peu triste, mais tranquille et imperturbable, capture les prunelles interrogatives de Sophie :

- J’ai quitté Philippe, annonce-t-elle.

Après quelques secondes de stupéfaction, une explosion de joie salue la nouvelle. Florence ne peut s’empêcher d’en rire.

Sophie saute au cou de son amie :

- Quand ? Quand est-ce que tu l’as quitté ?

- Tout à l’heure. J’ai profité qu’ils étaient tous partis pour le week-end. J’ai rempli ma voiture. Tout est là, dehors. Tout ce à quoi je tiens.

Les quatre amies se regardent, partagées entre la joie et la stupeur. Pour être une bonne nouvelle, c’en est une, mais qui soulève une tonne d’interrogations :

- Et tu vas aller où ?

Florence baisse la tête, hésite :

- Ben… Je comptais un peu sur vous pour trouver une solution provisoire, avoue-t-elle. Au pire, je pourrais aller à l’hôtel.

La proposition soulève une salve de protestations, sincères ou polies :

- Tu rigoles ? objecte Sophie. Tu vas venir chez nous ! On a une chambre libre. Comme ça, tu pourras voir venir. Et si tu veux, on retourne chez toi, s’assurer que tu n’as rien oublié !

Elles s’embrassent tandis que Florence laisse filer quelques larmes de bonheur et de soulagement.

- Merci…

- C’est normal. Je me sens un peu responsable de toi, après tout ce que je t’ai dit. Je suis heureuse que tu ais fait le bon choix…

- Le bon choix ?

Le regard et la voix de Florence trahissent encore quelques doutes. Rien de plus normal, au seuil du grand saut !

Sophie lui étreint la main avec puissance et conviction :

- Tu t’es choisie. Tu as décidé de t’aimer et de te faire du bien. C’est ça, le bon choix.

St Genis, le 27 juillet 2016

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